dimanche 20 mai 2012

Dictionnaire des choses perdues

Jeudi dernier était la fête de l’Ascension, premier jour d’un long week-end de quatre jours. Par un temps quelque peu ensoleillé mais tout de même plutôt frisquet, rien n’est mieux que se promener et s’adonner à la lecture. Parmi mes lectures, voici le compte rendu d’un bouquin qui m’arrive tout frais d’Italie Sourire, le “Dictionnaire des choses perdues” du chanteur et écrivain Francesco Guccini.

Guccini, F. (2012) Dizionario delle cose perdute”. Milan: Mondadori. (disponible aussi en ebook, seulement en italien)

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Ce petit ouvrage (140 pages) est une succession de courtes histoires, d’anecdotes de l’enfance et de l’adolescence de l’auteur. Une série de portraits colorés et folkloriques de l’Italie du nord dans l’après deuxième guerre mondiale (Guccini est né en 1940), qui composent une galerie de personnages drôles, gais et aussi quelque part assez naïfs.

Guccini, duquel on a déjà pu apprécier quelques romans policiers et plusieurs livres autobiographiques, nous livre ses mémoires de gamin bolognais avec un grand sens de l’humour, tout en faisant preuve d’un profond respect pour les rêves et les ambitions des gosses de cette époque et de leurs parents.

On retrouve ainsi les premiers chewing-gums, les insecticides contre les mouches, les voitures de masse, les cinémas de 3ème vision et même des trucs qui ont aujourd’hui presque complètement disparu, comme les glacières, les cuisinières à bois, les “liqueurs en poudre” (obtenus mélangeant des aromes chimiques, par exemple de whisky, et de l’alcool) et les seringues en verre.

Avec juste un soupçon de nostalgie (mais pas trop quand même: d’accord, les jeux dans la rue sont peut-être mieux que la PSP, mais tout le monde préfère les seringues en plastique à celles en verre…!), l’auteur nous livre un beau témoignage d’un monde à cheval entre tradition et modernité. Encadré par un regard bienveillant et presque attendri, le sentiment qui domine le livre est sans doute l’étonnement. C’est la stupeur typique des enfants, mais aussi celle  de tout un pays qui s’ouvre à la modernité, et qui découvre avec enthousiasme les nouveautés…surtout celles qui débarquent des USA.

La fascination pour l’Amérique dans l’Italie des années 1950-1970 a longtemps passionné Guccini, qui en a parlé dans nombre de ses chansons (par exemple, l’atmosphère rurale de 100 Pensylvania Ave, le rythme et les accents de Talkin Milano, la déception suite à son premier voyage aux USA de laquelle nait L’orizzonte di K.D., les rêves d’Amérique faits dans sa terre natale présents dans Piccola città, les mémoires des émigrés mises en avant dans Amerigo, la description d’une rencontre sur la route dans Autogrill, le déclin et l’overdose sécuritaire et antilibérale contre laquelle il se révolte dans Canzone per Silvia). Dans ce livre elle ressort insérée dans l’époque qui était celle de sa jeunesse, contextualisée donc et de ce fait plus facile à comprendre.

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Francesco Guccini en concert, date inconnue (années 1970?)

Si la poétique de Guccini est centrée sur les histoires (il s’inspire des chanteurs d’histoires – ou cantastorie - qui exerçaient dans sa région jusque dans les années 1970) et sur la description profonde des personnages et de leurs émotions, il fait une large place à la politique (notamment, il prône un anarchisme de gauche; voir par exemple la chanson militante La locomotiva), à la littérature (comment ne pas mentionner Cirano ou Don Chisciotte) et à l’histoire (par exemple, dans Bisanzio), sans oublier l’humour (qui triomphe dans l’album Opera Buffa).

Dans toute cette œuvre, les USA entrent de manière transversale, avec des références multiples qui mêlent la fascination et la critique ouverte envers certains modes de fonctionnement.

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Francesco Guccini en 2006

Entre autres, pour tous ces multiples cotés de son art qui parlent des USA, qu’on retrouve aussi dans son Dictionnaire des choses perduesil va recevoir demain 21 mai 2012 une licence honoris causa de la part de l’American University of Rome.

Pour avoir une idée plus précise de cet ouvrage en voici un extrait:

“Quand les américains arrivèrent en Italie, au temps de la guerre, en plus que les cigarettes parfumées ils amenèrent tout un tas d’autres trucs qui étaient alors inconnus, ou presque, chez nous. La Coca-Cola, par exemple, le beurre de cacahuètes, les pancakes (les desserts de Donald Duck) et le chewing-gum. Avec les chocolats (Hershey) et les bonbons multicolores avec un trou au milieu qui semblaient des bouées de sauvetage (les Life Savers), les G.I. étasuniens lançaient aux gosses des paquets mystérieux à la forme allongée; une fois déballés, ils contenaient des petites tablettes aussi allongées et parfumées. Bonbons américains? Peut-être. Mais quoi faire de ces mystérieux bonbons? Droit dans la bouche. Cependant, à force de mâcher, ce bonbon perdait sa saveur et il ne se dissolvait pas, et donc on l’avalait rapidement. (…)

Mais (…): finie la guerre, fini le chewing-gum? Non, bien entendu, parce que la vague masticatrice ne semblait pas diminuer et furent créés des produits très italiens appelés “chiclette” ou avec plein d’autres noms suivant les régions.

Par exemple, il y avait un gros truc rose, qui au début avait le gout d’un bonbon et n’était pas aisé à mâcher, dont la saveur s’estompait très tôt. Alors, les enfants malins le plongeaient dans le sucre et le remâchaient, parce qu’ils ne voulaient pas le jeter; mais dès qu’ils avaient mal à la mâchoire ils le mettaient dans leur poche, pour le sortir dans le futur et le remettre dans leur bouche après l’avoir tant bien que mal nettoyé des miettes et d’autres saletés. (…)

Mais le vrai coup de génie fût l’invention de la bubble-gum ( je crois, une invention américaine), la chiclette qui faisait des ballons. Tu mâchais, mâchais et puis, après avoir vérifié la consistance entre la langue et les dents, tu soufflais doucement jusqu’à obtenir la sortie, entre les lèvres, d’un petit ballon qui pouvait avoir des dimensions conséquentes pour les plus habiles. Il éclatait aussi, avec un bruyant “chack”, qui, quand répété plusieurs fois à la suite, était très propice pour énerver un adulte qui se serait trouvé aux alentours (et aussi pour faire déclencher une baffe). Seul désavantage, le ballon pouvait exploser sur le visage, en rendant très difficile le nettoyer des filaments gommeux. Mais quand on est enfants ce n’est pas le genre de choses dont on se soucie.” (pp. 9-12)

J’aime beaucoup Francesco Guccini, aussi bien pour ses chansons (que je peux affirmer connaitre depuis le berceau) que pour ses livres. Pour nous quitter, donc, rien n’est plus adéquat que son répertoire. Comme je les connais toutes j’ai du mal à en choisir une seule; je vous en propose donc deux parmi mes préférées (ou, peut-être, mes préférées dans l’absolu). Il s’agit de Vedi Cara, chanson extraite de son 2ème album (1970) et de Canzone quasi d’amore, extraite de son 7ème album (1976). Bonne écoute, et bonne route!

Francesco Guccini–Vedi Cara

 

Francesco Guccini–Canzone quasi d’amore

samedi 12 mai 2012

Tu n’aimeras point (Eyes Wide Open)

Pendant que la lutte pour les voix des homos fait rage aux USA (et il y a même un certain Romney qui fait des déclarations très fantaisistes sur le sujet), Israël est l’Etat du Moyen Orient et d’Asie où les droits des communautés LGBTQI sont les mieux respectés: “pacs”, adoption, FIV et même reconnaissance des mariages contractés à l’étranger. C’est tellement vrai que Tel Aviv a été nommée la meilleure destination gay pour 2011 et que des marches des fiertés (pride parades) sont régulièrement organisées.

Malgré une situation réjouissante, certains activistes internationaux accusent Israël de pinkwashing, les politiciens israéliens montrent des degrés de gay-friendliness variables et les groupes religieux ultra-orthodoxes ne sont pas toujours très tolérants. Mis à part les discussions récurrentes sur les pride parades, les principales victimes de l’intolérance homophobe au sein des groupes orthodoxes sont vraisemblablement les personnes LGBTQI qui font parties de ces communautés et qui sont obligées (comme certains orthodoxes bien hétérosexuels mais sensibles à la modernité) de se cacher et/ou de mener une double vie. C’est sur eux qui se penche le film “Tu n’aimeras point” (“Eyes Wide Open”) du réalisateur Haim Tabakman (interview ici), sorti en 2009.

Eyes_wide_open Ce film raconte l’histoire de Aaron, boucher, mari et père vivant à Jérusalem, et de sa rencontre avec son aide-boucher Ezri, un jeune homme dont il tombe amoureux.
Erzi débarque dans la boucherie soudainement et comme un étranger révolutionnaire, figure qu’on a déjà rencontré à plusieurs reprises auparavant.

Leur relation cachée a beaucoup de mal à démarrer, à cause des préoccupations religieuses d’Aaron, et elle se trouve confrontée à une pression sociale écrasante, représentée par les menaces des jeunes extrémistes envers “Aaron le boucher” et du rabbin envers “Aaron le croyant”. Aaron revit grâce à la compagnie d Ezri, mais ce sera de courte durée…

Tu n’aimeras point (2009) – Trailer

Même s’il n’y a pas de dénouement heureux, il vaut la peine de regarder le film: des belles images, qui témoignent d’un petit budget de réalisation; des dialogues essentiels; des musiques agréables, surtout dans les scènes de prière; une représentation réaliste du quotidien des personnages; un soin particulier dans l’élaboration de la psychologie des protagonistes, tout particulièrement Aaron et sa femme. En plus, depuis quelques jours il est possible de le visionner gratuitement sur le site Arte+7 de la chaine Arte pendant quelques temps.

Pour conclure, voici une chanson sans lien particulier avec le film sauf le titre, qui est le même. Il s’agit de Eyes Wide Open, du belgo-australien Gotye, que ces jours-ci s’est hissé à la tête du classement des ventes aux USA et sur internet avec son (très bel) album Somebody That I Used To Know, dont cette chanson a été le premier single. Bonne route!

Gotye – Eyes Wide Open

jeudi 10 mai 2012

Engagement LGBTQI & bonne musique

Hier le président des Etats Unis Barack Obama a fait une grande déclaration de campagne, s’engageant ouvertement en la faveur du mariage pour les couples homosexuelles.

Barack Obama @ ABC News–“Gay couples should be able to get married”

Malgré le fait que le président des USA n’ait qu’une très faible influence sur le droit civil des Etats, il s’agit d’un message important, qui arrive dans la continuité d’un long engagement en faveur des communautés LGBTQI, après la très fameuse allocution “It gets better” pour les adolescents LGBTQI, l’abolition du “Don’t ask, don’t tell” dans l’armée, l’expansion des bénéfices des employés fédéraux à leurs partenaires du même sexe et le memorandum anti-homophobie à l’intention des hôpitaux qui reçoivent les fonds Medicare et Medicaid.

On ne peut donc que se réjouir de cette confirmation du respect que le président des USA porte aux minorités sexuelles et de son action contre les discriminations. En particulier, une mobilisation de support a été organisée par All Out.

Entretemps ici en Europe beaucoup de promesses ont été faites, juste à côté de chez nous, ce qui a visiblement suscité l’enthousiasme de nombreux militants…et qui explique aussi la présence de nombreux drapeaux arc-en-ciel à la Bastille dimanche dernier.

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Photo par Philippe Leroyer, Flickr
Cependant, vu que François Hollande a accouché de la promesse de légalisation du mariage gay avec beaucoup de souffrance, notre drapeau à nous est resté accroché à la maison et le restera tant qu’on n’aura vu des faits.

Bien entendu, ceci ne nous empêche pas de nous réjouir pour les avancées de l’autre coté de l’Atlantique…et quoi de mieux que de fêter en écoutant le dernier album des Gossip, A Joyful Noise?

On aime beaucoup Gossip, non seulement parce qu’ils font de l’excellente musique, mais aussi parce qu’ils sortent des sentiers établis. En particulier, on a eu occasion d’apprécier l’engagement militant de la chanteuse et auteure du groupe, Beth Ditto, en faveur des droits LGBTQI et de l’acceptation du corps. Beth_Ditto_Love_Mag

Ceux qui comme moi ont loupé leur concert en directe radio sur la Rts (en pensant naïvement qu’il allait être publié sur le site de la chaine Triste) peuvent se rattraper de manière satisfaisante en écoutant l’album. C’est un travail abouti, tout autant riche que l’album précédent et qui reprend certains rythmes disco si typiques de ce groupe.

Tout en mettant en valeur la voix de Beth Ditto (moins que Music For Men, cependant), les chansons s’appuient sur des sons dance-rock et elles donnent envie de danser. Les connaisseurs reconnaitront des inspirations de ABBA et même de Madonna, et une atmosphère qui rappelle certaines sonorités des années 1980 tout en les modernisant avec des basses bien solides et en les densifiant quelque peu. Bien évidemment, les sons très saturés sont de mise et, regrettablement, l’extension vocale couverte par les chansons est moins importante que les talents de Beth Ditto ne le permettent.

Un bon travail, qu’on apprécie et qui est bien ficelé et cohérent à l’exception de “Get Lost” (une chanson à cheval entre les sonorités des années 1980 et des 1990, qui n’offre pas grande chose de nouveau et qui n’aurait probablement pas dû faire partie de l’album; bref, je n’ai pas aimé ce tube).

Pour nous quitter, voici Perfect World, premier single tiré de cet album. Bonne route!

Gossip – Perfect World