L’été permet de se promener sans parapluie (1), de manger plein de salades, de saison, et de glaces, de saison elles aussi, et d’avoir plus de temps pour la lecture (2). Bien qu’il ne s’agisse pas d’options mutuellement exclusives, cette semaine je me suis surtout concentrée sur la troisième et en particulier sur le dernier ouvrage de l’auteur franco-russe
Iegor Gran, “
L’écologie en bas de chez moi”,
conseillé il y a quelques temps par une collègue qui passe de temps à autre par ici (3).
Il s’agit d’une autofiction ayant pour protagoniste l’auteur et pour sujet principal son aversion pour les discours qui entourent le développement durable. La trame nous présente avec une certaine dose de sarcasme le conflit entre l’esprit libre de notre (anti) héros et le discours parfois extrémiste et totalitaire qu’une certaine partie des écologistes rattachent à l’idéal “vert”, transformant bien souvent l’idéal en idéologie et la conviction en foi. Ainsi, tout en décrivant la naissance d’une nouvelle religion de la soutenabilité, avec ses prêtres, ses dogmes et ses appuis politiques, Gran se met dans la position du mécréant, de l’hérétique et finalement de l’apostat. En effet, dans une escalade contestataire, il commence par rédiger
un article pas trop flatteur sur le film
Home et il finit par se mettre à dos un de ses meilleurs amis (disciple convaincu de la mouvance écolo) et par se sentir “aux marges de la société” voire carrément “exclu”, un peu comme un athée dans un monastère.
Dans un ton colloquial et proche de la langue parlée (4), ce récit ne se limite pas à rapporter l’évolution d’une banale querelle entre amis et il nous ouvre la porte d’un débat philosophique sur le fond même du développement durable et de sa mise en place. En effet, le problème principal de l’auteur est le manque de débat qui entoure les principes de la soutenabilité…et la polarisation de toute tentative de discussion (
nouveau-bio-solidaire-vert-gentil vs.
vieux-pollué-capitaliste-noir-méchant). Du coup, soutient-il, toute une série de principes, convictions et habitudes seraient inculquées dans la population sans jamais être mis en discussion. Suite à cela, chaque individu serait catalogué comme “bon” ou “mauvais” en fonction de son adhésion ou pas aux dogmes de cette nouvelle “religion”.
Le livre est très marrant et il mérite d’être lu au moins pour trois bonnes raisons: il s’agit d’une voix critique non-alignée, les affirmations sont bien documentées et en plus on a droit à des passages rigolos et auto-ironiques, comme:
II n'empêche que, dix jours plus tard, je reviens avec quelques achats du Salon du vigneron indépendant. Je range les bouteilles et descends les cartons vides. Nous sommes au milieu de l'après-midi et ma voisine peut surgir à n'importe quel moment. Je déchire les rabats, puis je comprime trois boîtes que je mets là où me l'indique ma conscience citoyenne. À la quatrième, je m'ouvre la paume avec une agrafe. Rien de grave, mais je comprends le message. Mal-gré une bonne volonté évidente et l'envie de bien faire, mon geste pour la planète n'a pas été apprécié des étoiles.
<< Putain de déchet, ai-je pensé. Tu mords la main qui te comprime? ... >>
Je ne me suis pas embêté avec le cinquième carton. Poubelle ordinaire - et dégagez ! (page 163)
Cependant, je crois qu’il est possible de réagir à la position de l’auteur avec plusieurs critiques.
La première est que, heureusement, pour l’instant les “fanatiques de l’écologique” sont encore une petite minorité; la plupart des gens fait face à plusieurs contraintes, avec lesquelles il faut jongler malgré les convictions (budget familial, logement, localisation, etc.). Dans le livre, au contraire, on a l’impression que la vie se déroule dans un monde immatériel, fait d’articles et de diners entre pots mais sans supermarchés, isolation du toit, chauffage, voiture… Entre les hyper-écolos et les ultra-consommateurs il y a donc tout un monde qui, peut-être, achète des légumes bio au supermarché du coin mais y va avec une vieille voiture gourmande en essence parce que l’argent pour changer de bagnole n’est pas au rendez-vous, ou il n’y a pas de transports en commun dans le coin.
Dans la même lancée, ma deuxième critique est que non seulement les “
croyants” peuvent créer des systèmes éclectiques en fonction de leurs conditions de vie, mais, en plus, les “
religions” s’adaptent à la réalité socio-économique de chaque pays, comme il est inévitable. Il n’y a donc pas (ou, du moins, je ne crois pas) une pensée unique et monolithique, un rouleau-compresseur durable qui écrase tout sur son chemin et qu’on n’oserait remettre en question. Au contraire, je crois qu’il y a bien une pensée d’inspiration plus ou moins unique (5), mais qu’elle se décline en des façons diverses et variées selon les contextes qu’elle rencontre.
Enfin, je comprend l’agacement de l’auteur, qui ne se sent pas consulté quand il s’agit de créer des nouvelles normes de comportement et de consommation. C’est un agacement qui explique peut-être par l’histoire personnelle de Gran et son aversion envers le totalitarisme…mais l’équation
débat = démocratie et son inverse
absence de débat = idéologie, totalitarisme évite de prendre en compte un élément fondamental, à savoir que nombre de nos comportements et convictions actuelles nous ont été plus ou moins imposés sans aucun débat et sans que ce soit forcément négatif pour tous. Prenons par exemple l’hygiène personnelle: il s’agit d’une discipline quotidienne qui a été imposée de manière violente (6), à travers des institutions telles que l’école, l’internat, la caserne…mais elle n’est pas intrinsèquement mauvaise pour autant, et même notre héros ne renoncerait probablement pas à sa(ses) douche(s) quotidiennes sous prétexte qu’il n’a pas choisi cela de manière démocratique! Je crois donc que le battage médiatique pour inculquer des habitudes saines n’est pas forcément négatif (7). On pourrait bien sûr me rétorquer que les messages sont à sens unique et sans contradictoire, mais tel n’est pas le cas de la grande majorité des messages médiatisés à l’heure actuelle, poussant entre autres à la surconsommation, au machisme (8) et à l’adoption de modes de vie stéréotypés et nullement soumis au débat?
Bref, un bouquin bien sympathique, dont je ne partage pas toutes les idées mais qui a le mérite de bousculer le consensus autour de l’écologie et de l’écologisme, en nous faisant réfléchir à nos convictions et à la manière de les mettre en pratique.
Pour nous quitter, voici une “chanson verte”,
The Long God Bird de l’américain
Sufjan Stevens (9). Bonne route!
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(1) Attention: cette affirmation est valable pour tous les contextes sauf l’été suisse 2011, qui constitue l’exception qui confirme la règle
(2) Comme on peut aisément déduire de ce que j’ai dit précédemment, la météo de cette année a été une aubaine pour ce qui est de la lecture.
(3) Pour avoir plus de détails et de commentaires sur le livre, vous pouvez aussi voir
la page qui lui est dédiée sur le réseau-base de données francophone
Babelio.
(4) Et avec des interminables notes de bas de page desquelles j’ai pris inspiration =)
(5) Je dis plus ou moins parce que les mouvements écologistes des années 1970, les divers Al Gore et la “
corporate sustainability” ne semblent pas avoir grande chose à voir les uns avec les autres.
(6) Sans débat et avec des coups de baguette sur les doigts ou pire.
(7) Des éléments tels que la valeur de l’alimentation bio pour la santé, de la production de proximité pour l’économie locale, des transports en commun sont si évidents qu’ils ne nécessitent pas d’être détaillés ici.
(8) Le cas le plus récent: l’inqualifiable
pub UDC pour le cinéma.
(9) Pour en savoir plus sur la chanson, voir
cette page sur le site de la
NPR.