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dimanche 22 janvier 2012

Merry crisis… – Récit de voyage #6

Dans un peu moins que 48 heures je vais quitter la Sardaigne. Cela faisait presque sept mois que je n’y avais pas été…et entretemps les choses ont beaucoup changé.

Il suffit d’allumer la télé italienne pour s’en rendre compte: les émission de débats politiques (talk-shows) sont omniprésentes, sur toutes les chaines et à toutes les heures; des politiciens sans aucune légitimité (cf. infra) discutent de ce qui ne va pas dans le pays, sans pour autant faire grande chose pour le changer (certes, il y a eu les pseudo-libéralisations de cette semaine, mais c’est plus du bruit qu’autre chose…les vrais problèmes du pays restent sans solution).

Si puis on sort se balader dans la ville, c’est encore pire: rues désertes, boutiques désolantes et commerçants déprimés. Ce n’est pas rare d’entendre des gens (même des parfaits inconnus) dire qu’ils sont inquiets, qu’ils ont peur et qu’ils croient que la situation ne va faire qu’empirer.

C’est fréquent aussi d’assister à une totale désillusion envers la capacité d’action des pouvoirs publiques et des hommes politiques: les sphères décisionnelles de l’Etat italien semblent désormais complètement déconnectées non seulement de l’administration, mais aussi de la société toute entière. Un grand nombre de citoyens ne se sentent plus représentés par ceux qui les gouvernent, faire valoir ses droits est devenu pratiquement impossible au vu des frais nécessaires et des temps d’attente dans le système judiciaire, et l’Etat de droit semble un lointain souvenir (pourvu qu’il ait déjà existé en Italie).

Apparemment poussé par les agences de notation et par les autres pays de la zone euro (en tout cas, c’est la version officielle), le gouvernement Monti a augmenté la TVA et l’essence: bref, tout ce qu’il ne faut pas faire pour relancer la consommation – et donc la production. En outre, les changements dans les contrats de travail (allongement de l’âge à la retraite, augmentation des impôts, etc.) ont miné la confiance des travailleurs en l’Etat providence et augmenté le sentiment d’insécurité et d’incertitude (autre frein à la consommation…). De plus, les infrastructures se dégradent (en premier lieu les routes, qui ne sont plus convenablement entretenues), et la compétitivité italienne s’en trouve affaiblie. Enfin, l’administration est en train de collapser: manque de transparence, népotisme, pénurie de fonds et de personnel (et, comme on apprend déjà depuis les cours d’économie politique en première année de fac, une administration qui marche mal n’encourage pas la création d’entreprises – ni la croissance). A coté de cela, les gaspillages continuent d’exister plus que jamais (subventions et allocations inutiles, agences publiques surnuméraires en tous les secteurs, etc.).

Je suis donc convaincue que les pseudo-néolibéralisations menées par le gouvernement Monti en Italie non seulement ne vont pas améliorer la situation du pays, mais vont précipiter l’économie italienne dans une récession sans précédents, qui a déjà commencé et qui n’est pas prête de finir.

Certes, il n’y a pas de recette miracle, mais c’est sûr que rien ne changera si le politique ne fera à nouveau partie de la société, et les gouvernants ne retourneront à être redevables envers les électeurs (pour ceux qui ne connaissent pas le système politique italien: actuellement les politiciens n’ont pas de comptes à rendre aux citoyens parce qu’ils ne sont pas choisis pas les électeurs mais par les partis, qui les insèrent dans des listes de candidatures bloquées; au final, ce sont donc les partis qui choisissent qui siègera au parlement et qui fera partie du gouvernement, en circuit fermé et sans aucune intervention des citoyens).

Pour l’instant, cependant, le fonctionnement du système politique n’a pas l’air de vouloir changer…Il ne reste donc qu’à répéter les vœux affichés par un commerçant de Cagliari dans sa vitrine: Merry Crisis and Happy New Fear!

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vitrine d’une boutique d’habits, via Manno, Cagliari

Sur cette note de “pure optimisme”, je vous propose la vidéo de Bad Day (sur Wikipédia ici) des REM (à regarder le catastrophisme des images, on dirait presque un extrait de la RAI de ces jours-ci…). Bonne route!

Bad Day, REM, 2003

mercredi 16 novembre 2011

CQFD (ou, pour les italophones, “come volevasi dimostrare”)

La liste des ministres du gouvernement Monti a été dévoilée aujourd’hui. Voici ce qu’on n’aime pas (mention Rien-A-Signaler pour les ministres sur lesquels on n’a aucune critique à faire pour l’instant).

Corrado Passera, ministre du développement et infrastructures Banquier (Intesa Sanpaolo), il sort de l’université privée Bocconi et a une véritable expertise en la restructuration d’entreprise (dont celle de la poste italienne: 20.000 postes de travail en moins).
Paola Severino, ministre de la justice Avocat, elle enseigne à l’université privée LUISS, se trouvant sous l’aile de Confindustria (équivalent italien du MEDEF).
Lorenzo Ornaghi, ministre des biens culturels Recteur de l’Université Catholique du Sarcé Coeur, directeur de la revue catholique “Vita e pensiero”, vice-président du quotidien catholique “Avvenire”.
Renato Balduzzi, ministre de la santé Déjà conseiller juridique de plusieurs ministères par le passé, il a été président national du “Mouvement ecclésial d’engagement culturel” (anciennement “Mouvement diplômés de l’Action Catholique), il fait partie du “Mouvement International des Intellectuels Catholiques” et de l’”International Catholic Movement for Intellectual and Cultural Affairs”.
Corrado Clini, ministre de l’environnement Un médecin qui a pris sa licence en 1972, est devenu directeur de département en 1975 (! bizarre!). Il est cependant employé dans les activités du ministère de l’environnement au plan national et international depuis 1980.
Piero Gnudi, ministre du tourisme et du sport Ancien président d’ENEL (équivalent italien de EDF), membre de l’exécutif de Confindustria (équivalent italien du MEDEF), membre du conseil d’administration d’Unicredito Italiano
Pietro Giarda, ministre des rapports avec le parlement Sort de l’Université Catholique su Sacré Coeur (Milan), où il travaille. Il a déjà été membre du gouvernement dans les années 1990.
Andrea Riccardi, ministre de la coopération internationale Professeur d’historie du christianisme, il est le fondateur de la “Communauté de Sant’Egidio”, organisation de bienfaisance d’inspiration catholique. Il est un ancien membre de “Communion et Libération
(organisation de laquelle il a pris ses distances).
Francesco Profumo, ministre de l’instruction RAS (presque; le déjà président du CNR italien est en réalité membre de plusieurs conseils d’administration, dont Unicredit Private Bank et Telecom Italia).
Giulio Terzi, ministre des affaires étrangères RAS (presque; il sort du monde diplomatique mais fait partie d’une famille “noble”, dont les possessions foncières sont documentés déjà avant l’an 1000).
Elsa Fornero, ministre du welfare RAS, elle s’est toujours occupée de prévoyance et retraites. Cependant, elle collabore avec “Il Sole 24 ore”, organe de presse de Confindustria (équivalent italien du MEDEF).
Mario Catania, ministre de l’agriculture RAS, faisait déjà partie du ministère de l’agriculture, où il s’occupait de politiques européennes et internationales.
Enzo Moavero Milanesi, ministre des affaires européennes RAS, il s’est toujours occupé d’Union Européenne
Fabrizio Barca, ministre de la cohésion territoriale RAS, il s’est toujours occupé de développement régional
Giampaolo Di Paola, ministre de la défense RAS, il a une longue carrière militaire dans le domaine des sous-marins et de l’OTAN.
Anna Maria Cancellieri, ministre de l’intérieur RAS, elle sort du monde des préfectures.

Certes qu’avec ces présupposés l’Etat italien ne risque pas d’évoluer vers un modèle plus socio-démocratique. Il y a en effet tout ce qu’il faut pour que des réformes néoliberales dures, avec restructurations massives du secteur publique et coupes aux budgets sociaux se mettent en place, et cela pour des raisons évidentes. De plus, comme nous avions déjà prévu, on remarque le rôle de l’église catholique et des lobbies qui s’y rattachent dans certains des ministères attribués. Avec une telle influence du clergé, on n’est pas sortis de l’auberge non seulement pour ce qui concerne les droits civiques (par exemple le pacs), mais aussi pour ce qui est de droits bien plus fondamentaux comme celui à l’avortement (remis en discussion à cause du nombre croissant de “médecins objecteurs” un peu partout dans le service publique italien) et celui à la FIV (à propos de comment le droit à la fécondation in vitro est bafoué, par exemple à l’encontre des porteurs de maladies génétiques comme la thalassémie, voir les lignes-guide diffusées aujourd’hui même; on y reviendra prochainement).

Un gouvernement pour le peuple, et qui ait une vision au loin, n’est donc pas né ce soir et il ne va pas naitre de si-tôt, puisque apparemment Monti veut rester en place jusqu’en 2013 (sans aucune légitimité digne de ce nom, il faut le dire). Face à tout cela, on n’a qu’un désir: voir apparaitre une nouvelle classe dirigeante qui ne soit pas simplement réactive, mais qui au contraire propose un projet de société qui élève l’esprit des citoyens et le niveau de l’Etat, qui vise la création d’un Etat moderne, laïque et républicain au sens le plus noble du terme. En bref, pour le dire avec une chanson, qui Lift us up!

Pour nous quitter en beauté, voici donc “Lift me up” du new-yorkais Moby. Bonne route!

Moby, Lift me up.

dimanche 13 novembre 2011

Berlusconi adieu, bonjour Monti

Berlusconi, présent sur la scène politique italienne depuis 1993, a démissionné hier soir et a ainsi enterré sa vie politique. Enfin, ou mieux hallelujah, comme l’ont dit tant les manifestants italiens hier soir que les pages de The Economist ce matin.

Hallelujah – Resistenza Musicale Permanente. Rome, 12.11.2011

Des manifestations de joie ont eu lieu un peu partout, dans le monde réel et sur la toile, notamment sur les réseaux sociaux, par exemple sous les hashtags finecorsa (fin de la course) et maipiù (plus jamais). Beaucoup de média traditionnels ont diffusé les images de la contestation devant les palais de pouvoir, avec des commentaires pseudo-étonnés…et une question s’impose: pourquoi les mêmes médias, y compris ceux de gauche, n’ont pas diffusé ces images avant? La contestation des simples citoyens faisait rage depuis un bon moment et les membres du gouvernement étaient depuis longtemps forcés à se cacher et à éviter toute apparition en des lieux publics “non protégés” (par exemple: la rue), mais personne n’en a fait mention.

Un bon exemple de cette cosmétique de l’information est la visite du désormais ancien premier ministre à Nuoro en 2009, complètement blindée et appuyée par une présence massive de forces de l’ordre (dont un sniper): la contestation a bel et bien eu lieu dans la rue (j’étais moi-même là pour en témoigner), mais les médias n’ont transmis que les images prises à l’intérieur d’une salle remplie de militants du parti au gouvernement.



Contestation pendant la visite de Berlusconi à Nuoro, 17.1.2009

Quoi qu’il en soit, ce personnage est désormais politiquement mort. Ceci ne veut pas dire que le berlusconisme ne laisse pas de traces sur la scène politique italienne. En effet, les institutions fondamentales de la démocratie ont été progressivement privées de leurs rôles, le débat politique et le discours publique tout court se sont centrés sur la personne de Silvio Berlusconi, et pour finir les mots eux mêmes se sont vidés de leur sens. Voici donc l’héritage de 17 ans de berlusconisme: un pays en ruines et sans fantaisie, puisque, si on en croit Wittgenstein, les limites de notre langage signifient les limites de notre propre monde.

Quelques jours en arrière, j’avais émis la  prévision que le successeur au poste de premier ministre aurait été quelqu’un d’agrée par l’église catholique. Cette affirmation, qui a pu paraitre un peu bizarre a certains, était motivée par la constatation que la seule institution qui ait survécu au cataclysme berlusconien est exactement l’église, une organisation qui a historiquement toujours eu un grand pouvoir en Italie et qui peut aussi compter sur une grande disponibilité de moyens (ce qui, en temps de crise, est plutôt rare). A la suite de réunions qui ont débuté cet été, la décision semble désormais s’être arrêtée sur Mario Monti, économiste libéral formée à l’université privée milanaise Bocconi (donc idéal pour mettre en place les politiques néolibérales dont on a déjà partiellement parlé), ex-commissaire européen (donc bien aimé par les autorités de l’UE, qui tiennent les cordons de la bourse)…et (surprise surprise) ancien élève des jésuites, catholique et déjà appuyé par l’église (tant en Italie qu’en France), qui l’avait entre autres déjà suggéré comme chef de la République en 2006 (cela n’a jamais abouti).

Si l’investiture de Monti semble désormais certaine, il y a encore quelques doutes sur les ministres qui feront partie de son gouvernement. Une chose est sure: si on se fie aux noms qui circulent sur la presse italienne, on peut remarquer la présence de vieux politiciens bien connus, qui ont déjà eu l’occasion de démontrer leurs talents par le passé et qui ont remarquablement échoué…tel un fromage qu’on n’a pas aimé, et qu’on ressort du fond du frigo, un peu moisi, parce qu’on on a oublié de faire les courses. Pourquoi les partis soutiennent-ils donc un tel bouquet choisi?

La réponse n’est pas si facile à trouver (merci MF pour la conversation intéressante qui a mené à l’analyse qui suit). Il se pourrait que ce choix soit motivé par un vide absolu, mais cette option est difficile à croire, puisque dans quelques mois il y aura les élections et les partis devront bien présenter quelques candidats. De plus, dans un pays qui compte 945 parlementaires (contre 246 en Suisse, 535 aux USA, 614 en Espagne, 925 en France), c’est invraisemblable qu’on ne trouve que des vétérans pour occuper le poste de ministre. Il faut donc examiner une deuxième option. Comme on l’a déjà dit, les mesures prochainement adoptées par le gouvernement Monti seront calquées sur les demandes de Bruxelles: en gros, des coupes au budget de l’Etat et des restructurations de l’appareil étatique en pur style néolibéral… tout ce qu’il y a de plus impopulaire. Puisque les choses impopulaires ne sont pas du gout des électeurs, tout le monde s’en est lavé les mains jusqu’à maintenant. Voici pourquoi les élus en chargent le futur “gouvernement technique”: pour qu’il fasse le sale boulot (ce que les “marchés financiers” attendent) et qu’après les candidats puissent se représenter aux élections les mains propres, en disant “Ce n’est pas de notre faute”. Parfaitement logique et compréhensible.
Le problème avec ce genre de choix est double. D’un côté, cela remet en cause l’essence même de la démocratie, puisque ce ne sont plus des élus qui se chargent de la chose publique, mais des “illuminés” choisis selon d’autres critères que le vote des citoyens. De l’autre côté, la notion même de gouvernement en sort ébranlée, vu que la gestion de l’Etat devrait impliquer le bien de la population…et, si jusque là elle a impliqué la sauvegarde des intérêts d’un seul individus, elle va désormais impliquer la réponse à des impératifs provenant des “marchés financiers” (impératifs  définis de manière plutôt obscure par des systèmes fumeux et non-redevables envers les électeurs).

En somme, Berlusconi est politiquement enterré (même s’il essaie de sortir de sa tombe, voir ci-contre), mais on n’est pas prêts d’en découdre avec le berlusconisme, ni d’assister à l’émergence d’une classe dirigeante renouvelée en Italie.

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Et, qui plus est, les italiens devront se préparer à se serrer sérieusement la ceinture, avec les plans néolibéraux que le gouvernement Monti se prépare a adopter.
Triste et lourd héritage celui de cette période obscure de l’histoire italienne. En attente de voir comment tout cela va évoluer, changeons d’air: voici un Héritage bien meilleur et qui vient d’ailleurs: il s’agit du nouvel album du groupe suédois Opeth, un rock progressif de haute qualité qui n’est pas sans rappeler des grands classiques des années 1970. Tiré de cet album, “The Devil’s Orchard”: une excellente sonorité, proche de certaines sonorités présentes dans “Jesus Christ Superstar”, et un beau texte, plutôt adéquat pour ces temps troubles. Bonne écoute et bonne route!

Opeth–The Devil’s Orchard. Heritage, 2011