vendredi 30 décembre 2011

Une histoire d’amour

Pendant ces jours de fête, quoi de mieux que s’adonner à ses activités préférées? A part le shopping et la cuisine, je me suis donc dédiée à la musique et à la lecture.

En ouvrant un de mes cadeaux de Noël, j’y ai découvert (avec grande satisfaction) un bouquin que j’avais remarqué sur une étagère de la FNAC depuis plusieurs semaines déjà: il s’agit de Perv, une histoire d’amour, dont voici mon appréciation.

Stahl, Jerry (2011) Perv, une histoire d’amour. Paris: 13e note éditions, 365 pp.

485px-JerryStahl_headshot             Jerry Stahl

Jerry Stahl est un écrivain étasunien né en 1953, auteur de plusieurs scénarios de films (dont Bad Boys II) et de séries télévisées (dont plusieurs épisodes de Alf et de CSI – Les experts).

Son livre “Perv: A love story” (1999) aura mis plus que 10 ans pour sortir en français.

Dans un style est propre et soigné, le protagoniste de ce roman, Bobby Stark, nous raconte quelques mois de son adolescence, à la fin des années 1960.

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Malgré un ton relativement monocorde (dû peut-être à la présence d’un narrateur unique), on se retrouve projetés dans une époque de changements majeurs en Amérique, entre la désintégration des familles “traditionnelles” de classe moyenne et la prolifération des hippies en tout genre…Le jeune Bobby, timide et sans confiance en lui-même, tente de survivre tant bien que mal à une série de disgrâces qui frappent lui et tous ceux qui l’entourent.

Les personnages du récit se trouvent progressivement submergés par leur tristesse et leurs névroses; une fois tous les repères perdus, ils tiennent le coup à force de dépendances aux médicaments, à la drogue, au sexe, à l’alcool, voire à un mix de cela. Les rites de passage de l’adolescent, ceux qui devraient lui permettre de grandir, se transforment ainsi en des initiations aux substances et pratiques lui permettant de s’oublier et d’effacer le monde qui l’entoure….tout ça dans un décor psychédélique, qui sent la marijuana et où on entend la guitare Jimi Hendrix comme musique de fond.

Au final, le récit ne semble tourner qu’au tour de la dualité (apparente) du plaisir et de la douleur. Pour Bobby, il ne s’agit pas de deux faces de la même médaille: dans sa vie, la douleur est prédominante, écrasante, et le plaisir en est seulement une échappatoire temporaire et limitée. Le monde entier lui semble grisâtre et souffrant, le monde entier sauf ces hippies (dont son premier amour Michelle), qu’il voit défiler au loin et qui lui paraissent presque venir d’un autre univers.

 

Blind Faith - Blind Faith
Blind Faith, Blind Faith, 1969

Et quand il trouve enfin le courage d’essayer de se transformer en hippy, non seulement pour lui ce n’est pas satisfaisant, mais de plus c’est dangereux et frustrant. Bref, une vie inéluctablement sans bonheur et où tout espoir se transforme en cuisante déception.

Des nombreux critiques ont trouvé ce livre drôle, voire hilarant (voir par exemple ici et ici). Malgré le bon rythme du récit et les aspects comiques de certains passages, je fatigue à trouver le livre tragicomique. Il s’agit pour moi d’une histoire essentiellement mélancolique, qui décrit en même temps la décadence d’un certain modèle de société occidentale, victime de ses propres obsessions, et la tristesse d’un gosse perdu au milieu de tout cela et dont les illusions s’envolent peu à peu.

C’est un très bon livre et cela pour plusieurs raisons:

  1. il vous (re)plonge dans l’atmosphère des 1960s, tels que vous les avez vécus ou juste imaginés, et cela par des références musicales un peu fouillées (bien qu’on reste dans les groupes et morceaux les plus connus) et des descriptions réalistes du climat de l’époque…en somme, un ouvrage bien sex, drugs & rock’n roll;
  2. il n’est pas un livre “tout gentil et tout mignon”, comme ceux qu’on est sensés lire pendant les fêtes: c’est un récit cru et (par passages) cruel, où la vie ressemble plus à une marche sur la braise qu’à une promenade en bord de mer;
  3. chose pas commune de nos temps, c’est une histoire qui ne se termine pas bien: à part des rares éclairs d’espoir, le protagoniste survit (ou du moins il cherche à survivre) dans une réalité qui l’écrase et à laquelle il ne peut pas vraiment réagir. Le thème du subir (opposé à l’agir) est bien représenté dans la littérature, mais le moment choisie pas Stahl est original: en une époque de révolutionnaires et réactionnaires, voici un gamin qui ne se révolte pas, qui ne réagit pas: il subit, et seulement en subissant, qu’il le veuille ou pas, il est entrainé vers l’action.

Afin que vous puissiez en avoir un aperçu, je vous propose de lire les quelques citations suivantes; ce ne sont pas les plus drôles ni les plus profondes mais elles ont assez d’intérêt tout en étant suffisamment courtes pour être transcrites.

Pour finir, M. Schmidlap m’a fait un signe de la tête, et a pris mon menton entre ses doigts. – Il y a deux types de gens sur terre, mon pote: ceux qui font semblant d’exister, et ceux qui font semblant d’être inexistants. Suis bien mon conseil, et évite les uns comme les autres. (p.66)

Dans la rue où j’étais né, habitait un type du nom de Herbert Pazahowski. Herb était un type d’une trentaine d’années, aux épaules voutées. Une antiquité. Il vivait chez sa mère, Mme Pahazowzki, vieille peau d’un mètre cinquante, avec laquelle Herbert passait devant chez nous, gravissant la colline jusqu’au supermarché, chaque jour avant le déjeuner. Quelques images impossibles à oublier: un gros poireau aux poils noirs sur la gorge de Mme Pahazowski, un autre sur le menton, aux poils blancs et aux allures de mollusque. J’avais beau aimer les films d’horreur, l’idée de me transformer en Herbert, tenir la main de ma mère en nous trainant jusqu’au supermarché pour notre pâté de foie quotidien était trop horrible à supporter. C’était bien plus flippant que La malédiction des pharaons ou Godzilla. – Le pire, me disait maman lorsque nous apercevions les Pahazowski, c’est que Herbert n’est pas un imbécile. C’est juste un bon garçon… (p. 74-75)

Varnish a dit quelque chose que je n’ai pas saisi. Impossible de décrypter le message jusqu’à ce que je tende le bras pour tourner le bouton du volume et que je sois complètement paniqué à cette idée, pensant: “Quel bouton du volume? Ca va pas ou quoi? JE SUIS TARÉ OU QUOI?” –Héro et DMT, disait Varnish. Il a levé les yeux du joint qu’il était en train de rouler, et je me suis vaguement demandé pourquoi il était sur la banquette arrière. Ma nuque était douloureuse et j’avais le gout du sang à l’endroit où j’avais mordu ma langue. (p. 277)

Pour nous saluer, voici un groupe de l’époque, les Blind Faith (d’ailleurs mentionnés dans le bouquin, et dont la fille de la fameuse couverture objet de scandale – ci dessus - rappelle quelque peu la Michelle du livre) avec Presence of the Lord. Bonne route!

Blind Faith, Presence of the Lord–live @ Hide Park, 1969

samedi 24 décembre 2011

Hey c’est Noël!

Après des jours de stress terrible pour:

1. finir ce qu’il y a à faire avant les vacances (et ainsi prendre son congé le cœur léger et sans un fastidieux sentiment de culpabilité);

2. s’adonner au grand nettoyage de maison, habits, outils etc. (c’est toujours dérangeant de se retrouver sans fringues propres un jour de fête);

3. réfléchir intensément aux cadeaux qu’on va offrir (qui dans un monde idéal devraient toujours être originaux, super cool, pas  trop chers et disponibles en Suisse romande – mais on ne vit pas dans un monde idéal, on le sait);  

4. réfléchir encore plus intensément aux cadeaux qu’on va demander (c’est drôle, mais juste au moment des fêtes, quand tout le monde nous demande “Alors, tu veux quoi pour Noël?” on a l’impression que notre cerveau est empli du vide cosmique…);

4. courir partout pour acheter les cadeaux de Noël qu’on a réussi à choisir (mais aussi pour sélectionner et acquérir dans la foulée tous ceux qu’on n’avait pas choisi au préalable, en cherchant à éviter tous les parents+gosses marchant à trois à l’heure et en se faufilant entre les présentoirs pour voir “si ce petit machin là derrière ne pourrait pas faire l’affaire” – attention: suite à un chantage je suis forcée à avouer que ce n’est quand même pas le cas pour tous les cadeaux, il y en a aussi qui ont été choisis avec amour)

…et bien, après tout cela, le jour du réveillon est arrivé – finalement!

Je souhaite donc à tous ceux qui passent par ici de passer un joyeux Noël, de bien s’amuser et de passer des bons moments avec les gens qu’ils aiment. Sur cela, voici une sélection de chansons de Noël (avancer avec la barre inférieure pour sauter celles qui ne partent pas à cause des problèmes de droit d'auteur). Bonnes fêtes!


mercredi 21 décembre 2011

Quand je lis certains articles…

Depuis un certain temps, dans les pays européens avoisinant la Suisse, il est à la mode de chercher un bouc émissaire pour les problèmes internes. C’est, sans doute, un vieux phénomène à l’échelle historique, qui a eu des plus ou moins graves répercussions (il suffit de penser à Hitler ou, plus récemment, aux USA de Bush fils). Une conséquence certaine de cette attitude est que le débat se déplace, et que les citoyens perdent de vue les vrais problèmes pour se concentrer sur des aspects mineurs de la vie de leur pays (par exemple, au lieu de penser à la marginalisation et au racisme que subissent les habitants des cités françaises issus de l’immigration, on se lance en des débats sans fin sur la pertinence de la burka au sein de la république).

Quelque chose de cet ordre là est en train de se passer ces jours-ci en Italie. Tout juste ce matin, en lisant la presse italienne, je suis tombée sur un article au titre révélateur: “Assiéger Berne, c’est un devoir européen”. Le but de l’article était de démontrer que si l’Italie va mal, c’est à cause de tous les gens qui amènent leur fortune en Suisse – et des “méchants suisses” qui les laissent faire. Or, quand je lis ce genre d’articles, je me mets en colère, et je vais vous expliquer pourquoi (en reprenant partiellement le commentaire que j’ai publié en italien sur ledit article).

Assez de s’en prendre à la Suisse! Aller chercher les responsabilité des problèmes italiens ailleurs qu’en Italie, ça sert juste à distraire les masses. Les plus grands fraudeurs fiscaux sont en Italie, dans toutes les villes et villages, dans toutes les rues. Ce sont tous ces artisans, coiffeurs, dentistes et autres membres des professions libérales qui empochent énormément d’argent sans donner aucun reçu….et ils ne vont sans doute pas amener leur argent en Suisse!

Ce qui faut en Italie c’est une politique fiscale rigoureuse, sur le modèle USA: facture obligatoire et PRISON pour les fraudeurs du fisc. Puisqu’il s’agit d’un vol, qui équivaut à piocher dans les poches des autres citoyens, il faut punir les fautifs, et non pas les pays voisins comme la Suisse (qui, d’ailleurs, selon les accords fiscaux actuellement en vigueur avec l’Union Européenne, verse déjà des pourcentage forfaitaires d’impôts sur les capitaux italiens à l’Etat italien lui-même).

Malheureusement, attaquer la Suisse fait vendre plus de copies aux éditeurs des magasins et rapporte plus de voix et de popularité aux politiciens que taxer les citoyens et punir les voleurs…donc c’est très probable que les discours ne vont pas changer de si tôt.

Sur cela, puisque on approche des fêtes et qu’on est tous plus gentils (ou du moins on fait semblant de l’être), quittons nous avec un chant de Noël. Bien que j’adore le grand classique War is over de John Lennon, je le trouve un peu trop surmédiatisé. C’est pour cela que j’ai choisi quelque chose de plus traditionnel, le chant chrétien Adeste fideles, dans la merveilleuse version de l’artiste irlandaise Enya. Bonne route!

Enya, Adeste fideles

dimanche 18 décembre 2011

Trois albums de l’année (presque) passée

On approche en douceur la fin de l’année 2011, et les médias nous proposent, comme d’habitude, des synthèses des évènements marquants des 12 derniers mois et des idées de cadeaux de Noël. Pour réunir les deux, voici trois albums marquants sortis en 2011; bonne écoute!

Le premier album que j’ai choisi est Heritage des suédois Opeth (sorti le 20.9.2011), dont on avait déjà écouté un morceau il y a quelques temps.

Il s‘agit d’une œuvre très riche, qui contient 12 titres de pur rock progressif. Avec des accents des années 1970 et des arrangements qui rappellent ceux des grand classiques du prog. La couverture de l’album a elle aussi des éléments du design de l’époque d’or du rock prog, et elle a été réalisée par Travis Smith, illustrateur spécialisé dans la musique hard rock.


Opeth-Heritage

Pour vous faire une idée du style des Opeth, voici Slither, une chanson au texte triste mais à la musique exceptionnelle.

Opeth, Slither

Avec tout un autre genre de musique, le deuxième album que j’ai choisi de vous proposer est Father, Son, Holy, Ghost de la bande étasunienne Girls (San Francisco), sorti le 13.9.2011.



Girls-father-son-holy-ghost

Il s’agit d’un album aux textes simples et à la musique remplie de renvois au rock et au pop de la fin des années 1960 (groupes tels que les Troggs ou les Beach Boys), mais aussi au pop des 1970 et 1980. Malgré des références à l’histoire de la musique contemporaine, le résultat final est surprenant et n’a rien d’un “déjà entendu”: un mélange de rythmes et de styles bien réussi et qui réussit à innover tout en respectant l’esprit de certaines mélodies.

En somme, du très bon travail! Pour vous les faire connaitre, j’ai choisi Honey Bunny, qui montre leur capacité à passer nonchalamment d’une atmosphère à l’autre.

Girls, Honey Bunny

Pour finir, le troisième album est Let them talk, de l’anglais Hugh Laurie.

On connaissait déjà les multiples activités de l’artiste comme acteur dans des séries télé (notamment Dr House) et dans la pub (j’adore celle de cette année pour L’Oréal)…donc même si ça n’a rien à voir avec ce dont on parle, je n’ai pas pu m’empêcher de l’insérer dans ce post Rire) , mais aussi comme humoriste.


On avait aussi eu l’occasion d’apprécier ses talents musicaux au cours de sa carrière et aussi bien avant sa notoriété mondiale, par exemple dans cet hilarant épisode de l’émission A bit of Fry and Laurie.

Cependant, quand son tout premier album est sorti (9.5.2011) il nous a épatés avec ses multiples dons de musicien et de chanteur. Dans son opus, on retrouve des reprises de classiques du blues, avec des arrangements qui en font un album idéal autant pour quand aller “sur la route” que pour travailler ou se relaxer.

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Belle voix et belles musiques, un travail de qualité et, pour une fois, des sons non saturés, qui mettent bien en valeur les parties instrumentales. Comme échantillon de cette œuvre, j’ai choisi une chanson atypique, Swanee River, qui est un peu plus vivace que les autres  et que je trouve très agréable; la version live rend bien l’idée de l’atmosphère globale de l’album. Sur cela, bonne écoute et bonne route!

Hugh Laurie, Swanee River

dimanche 11 décembre 2011

Le dernier testament de Ben Zion Avrohom

Il y a des personnes qui, prises par une attaque de shopping compulsif, se jettent sur la première boutique de chaussures ou le premier magasin de sacs-à-main qui croise leur route. Chez moi, ce genre d’attaques est plutôt rare, mais s’il y a un endroit où je dépenserais bien des fortunes c’est la Fnac…et ainsi quelques jours en arrière j’en suis sortie avec une nouvelle paire d’écouteurs et une copie toute fraiche du nouvel opus de James Frey, à savoir “Le dernier testament de Ben Zion Avrohom” (2011; Paris: Flammarion, 382 pp.).

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Ce bouquin à l’apparence assez particulière (on dirait qu’il y a des tâches de sang sur les bords des pages), sorti au printemps de cette année aux Etats-Unis et au Royaume uni et à la rentrée en France, n’a pas reçu que des critiques positives, tant dans les pays anglophones (voir par exemple ici, ici et ici) qu’en terre francophone (voir par exemple ici et ici).

Il faut dire que l’auteur s’était déjà mis la plupart des médias à dos en 2006, quand ils avaient découvert que de nombreuses sections de sa prétendue autobiographie étaient en réalité abondamment maquillées et “enjolivées”. Cette obsession de la “vraie vérité” me parait quelque chose sur laquelle il faudrait prendre le temps de réfléchir, puisqu’elle remet en cause le but de la littérature elle-même. Servirait-elle à relater les faits et rien que les faits, telle une agence de presse ou un procès-verbal, ou bien à donner un message à celui qui la lit, en se servant à loisir tant dans la réalité que dans la fantaisie? Je penche pour cette deuxième option. Un passage mémorable sur la relation entre l’écrivain et la vérité a d’ailleurs été écrit par Agota Kristof dans le Troisième Mensonge:
— Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si vous écrivez des choses vraies ou des choses inventées.
Je lui réponds que j’essaie d’écrire des histoires vraies mais, à un moment donné, l’histoire devient insupportable par sa vérité même, alors je suis obligé de la changer. Je lui dis que j’essaie de raconter mon histoire, mais que je ne le peux pas, je n’en ai pas le courage, elle me fait trop mal. Alors j’embellis tout et je décris les choses non comme elles se sont passées, mais comme j’aurais voulu qu’elles se soient passées.
Elle dit :— Oui. Il y a des vies qui sont plus tristes que le plus triste des livres.
Je dis :— C’est cela. Un livre, si triste soit-il, ne peut être aussi triste qu’une vie.
Partant de ces présupposés, je considère que “mentir” est le droit de tout écrivain, qui devrait être jugé pour la qualité de ses œuvres et non pas pour leur adhérence à des évènements réellement advenus. J’ai donc lu ce “Testament”, qui a été intitulé “Le dernier testament de la sainte bible” dans sa version en anglais; voici ce que j’en pense.

Le titre nous met tout de suite au courant du contenu du livre: après l’ancien et le nouveau testament viendrait le “dernier testament”, soit celui de Ben Zion Avrohom. Ben Zion est le protagoniste du récit: une sorte de prophète des temps modernes, marquée dans l’esprit comme dans le corps par une vie triste à la limite du désespoir. Sans église ni prières, il croit en une seule religion composée d’amour libre et universel et de tolérance. Son histoire est racontée par les personnages l’ayant connu et côtoyé (dont des SDF, des anciens drogués, une prostituée qui deviendra sa compagne – ce qui n’est pas sans analogies avec la bible…), qui décrivent chacun à sa manière et dans son propre chapitre leur rencontre avec le “messie”. Bien que les différences de style entre les chapitres ne soient pas exploitées jusqu’au bout, il s’agit bien d’un récit choral ayant un certain charme. Certes, ce n’est pas de la pure théologie, mais le message du prophète est bien clair: dieu n’est pas intelligible, les églises ne sont que des manières d’opprimer les peuples et chacun devrait pouvoir vivre comme bon lui semble, pourvu qu’il aime ses prochains. En effet, dans un monde qui court à sa perte, le seul moyen de s’en sortir et d’éviter de s’auto-détruire serait de commencer à s’aimer. C’est d’ailleurs ce que le personnage fait tout au long du livre: il se balade en long et en large dans la ville de New York, faisant la connaissance tant amicale que “biblique” de nombreux disciples et changeant leurs vies; de temps en temps il “parle avec dieu” et juste après il est saisi par des attaques épileptiques d’une rare violence. Un drôle de guru, qui n’est pas sans rappeler des personnages qu’on a pu connaitre ailleurs, notamment l’invité du film “Théorème” (Pier Paolo Pasolini, 1968)…

Théorème, Pier Paolo Pasolini. Version intégrale

…ou le protagoniste de la chanson “La cattiva strada” (Fabrizio de André, 1975).

La cattiva strada, Fabrizio de André

Le livre de Frey contient des passages lyriques, qui méritent d’être lus, et  la trame est assez bien construite. Voici un exemple, extrait d’un épisode qui a comme protagonistes Ben Zion et Marc, un prêtre catholique, raconté du point de vue de Marc (pp. 248-250):
Marc: “La piété rend la vie meilleure” 
Ben Zion: “C’est l’amour et le rire et la baise qui rendent la vie meilleure. La piété fait passer le temps c’est tout” 
Je l’ai regardé, et il m’a souri. Et même si j’étais en désaccord avec tout ce qu’il disait, ou voulais l’être, sa présence physique écrasante, et le sentiment indéniable et irréfutable qu’il était divin et que, en dépit de ses dénégations, il était le Fils de Dieu, faisait que ses paroles pénétraient au cœur de mon être, et au cœur de ma foi. Il a de nouveau parlé. 
Ben Zion: “Regarde ta croix” 
J’ai dirigé mon regard vers le crucifix suspendu au dessus de l’autel. C’était une représentation réaliste du Christ. La croix et le Christ qui était dessus étaient en bois d’olivier. On voyait les clous à ses mains et à ses chevilles, et son visage était paisible, calme et serein. On voyait une couronne d’épines sur sa tête et ses yeux étaient ouverts. Le Christ lui-même était peint d’une manière que je qualifierais de réaliste, donnant la sensation que c’était une représentation proche de ce qu’était le Christ pendant la crucifixion. Je l’avais vu un nombre incalculable de fois, et m’étais tenu dessous pour célébrer la messe pendant des nombreuses années. J’avais prié devant lui, lui avais demandé conseil, l’avais supplié de m’aider, et l’avais invoqué dans les épreuves et dans la peine. Et bien qu’il fût pour moi la représentation de la Sainte Trinité et de l’Eglise catholique, ce serait mentir que de dire qu’il retenait mon attention autant que l’homme qui était à mes côtés, ou que sa présence avait le même pouvoir que la sienne. Après deux ou trois minutes , pendant lesquelles je n’ai entendu que notre souffle à nous deux, il a posé la main sur ma cuisse. J’ai ressenti immédiatement un jaillissement extrêmement puissant, qui ne pouvait être comparé à rien de ce que j’avais jamais ressenti, quelque chose qui était dans mon sang, mes os, mon cœur, et mon âme, quelque chose qui m’a littéralement coupé le souffle. Et quand je me suis tourné vers lui il s’est levé et s’est penché sur moi et a posé sur ma joue un baiser léger, gardant les lèvres contre ma joue. J’ai fermé les yeux, et je me suis senti durcir, une sensation qui me mettait plutôt mal à l’aise et à laquelle j’avais toujours résisté dans la crainte qu’elle ne m’entraine au péché, mais qui était merveilleuse, absolument et étonnamment merveilleuse. Il a gardé un moment ses lèvres contre ma joue avant de les glisser vers mon oreille, où il a murmuré. 
Ben Zion: “C’est la vie, pas la mort, qui est le grand mystère que tu dois affronter” 
Et il s’en est allé.
Malgré quelques passages bien écrits, cette œuvre ne rentrera pas dans le “Panthéon des meilleurs livres contemporains” et ceci est dû à deux fautes majeures.

Le premier défaut consiste en trop de répétitions dans les différents chapitres, tant au niveau des objets (par exemple, les yeux exceptionnellement noirs et la peau extraordinairement diaphane du protagoniste, qui reviennent à peu près dans tous les chapitres) qu’au niveau des mots utilisés. Un vocabulaire plutôt pauvre, qui s’adapte aux quartiers populaires qui servent de décor au récit, mais qu’à la longue peut être agaçant.

Le deuxième défaut concerne les longs sermons rapportés qui se trouvent eux aussi dans presque tous les chapitres. L’idée de transcrire des discours du protagoniste est en soi intéressante, mais cela devient parfois ennuyeux et excessivement redondant.

Bref, il s’agit d’un assez bon livre, mais pas d’un grand ouvrage, ni d’un bouquin parfait. Vu le sujet, on peut même dire que le verdict est assez proche de la conférence du pasteur Hendrikse de laquelle on avait parlé il y a quelques mois: intéressant, mais aurait nécessité encore du travail pour être abouti.

Pour nous quitter, voici une chanson qui me parait tout à fait adéquate, Dear God des anglais XTC. Bonne route!

Dear God, XTC

dimanche 4 décembre 2011

Sécuri-sexe

En occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, qui a eu lieu jeudi dernier, nous avons été bombardés un peu de partout de messages concernant le VIH, sa transmission et les progrès des trithérapies. Après avoir lu la presse, écouté la télé et résisté aux réclames demandant des dons généreux et promptes, il m’est arrivé d’aller au supermarché, et même là j’ai trouvé des jolies jeunes filles, la quinzaine, arborant des grands sourires et distribuant gratuitement des petits rubans rouges (en faite, la grande majorité des gens autour de moi jeudi soir exposaient fièrement leur ruban sur les vestes, les sacs ou même les pantalons).

C’est quand même surprenant cette tendance moutonnière de l’être humain: se sentir concerné par quelque chose un jour par année, de 17h00 (heure à laquelle on sort du supermarché) à 20h00 (quand on enlève la veste avec le ruban et on enfile sa robe de chambre). En fin de compte, on a bien l’impression que l’important n’est pas qu’on se protège contre le SIDA, pour en bloquer l’avancée, mais juste qu’on “se sente concernés” (c’est pourquoi ils distribuent des rubans, et non pas des capotes).

En tout cas, malgré l’hypocrisie du ruban, pratiquement tous les médias ont insisté un peu sur la protection, rappelant l’existence des préservatifs et l’importance de leur utilisation (partout sauf en Italie, comme toujours). Cependant, là aussi il y a de quoi critiquer: la prévention est toujours et uniquement liée au condom, et de ce fait:
  1. le choix et la responsabilité pour la protection sont déclinés au masculins actif, de par la nature même du dispositif de protection;
  2. la relation sexuelle est envisagée dans une optique phallocentrique, ce qui bien évidemment laisse de côté nombre de possibilités alternatives.
Constatant ces deux manques dans les discours médiatiques, j’ai décidé de saisir l’occasion pour dire deux mots à propos du “safe sex”, soit ce qui se traduit en français par “sécuri-sexe” ou “relations sexuelles protégés”. Je ne vais donc pas parler de capote anglaise, elle est déjà très bien présentée ailleurs. Par contre, j’aimerais approfondir les points mentionnés ci-dessus.

La première question est celle de la responsabilité pour la protection, qui peut désormais être endossée aussi par la femme grâce à la création du femidom (ou préservatif féminin), disponible sur le marché depuis les années 1990 et encore peu connu (probablement parce qu’il ne semble pas très glamour).


Tout savoir sur le préservatif féminin ! par mairiedeparis

En Suisse il peut être acheté à 0.95 CHF/pièce à l’Aide Suisse contre le Sida et en pharmacie, il est parfois distribué gratuitement dans les milieux associatifs; en France il peut être acheté en pharmacie (prix: 2 à 3 euros/pièce) et il est distribué gratuitement dans les milieux associatifs, les centres de planification familiale, les centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG).

Le deuxième point est que non toutes les relations sexuelles incluent une pénétration ni même la présence d’un membre viril. Or, bien que dans ces cas le risque de contracter le VIH ou une autre IST soit moins important, il est présent. Des protections existent pour ces cas de figure, mais elles ne sont pas souvent mentionnées ni bien connues. Sans en faire une liste exhaustive, je vais me contenter de citer les dental dams, ou digues dentaires, qui permettent de limiter les risques en cas de contacts bucco-génitaux. En Suisse, les dental dams peuvent être achetées à l’Aide Suisse contre le sida pour 2.65 CHF/pièce ou en pharmacie; en France, on peut les acheter en pharmacie. Des autres méthodes de protection contre les IST et le VIH existent; il s’agit principalement de mesures hygiéniques concernant les mains et la peau en général et des éventuels objets (plus d’informations ici et ici).

Nous voici arrivés à la fin. Il a été difficile de trouver une chanson pour clore ce post, puisqu’il n’en existe pas beaucoup sur le sujet et, qui plus est, la plupart d’entre elles sont trop “gnan-gnan” (comme dirait S.L. Clignement d'œil). Je me suis enfin décidée pour “Protège-moi” des Placebo, dont je ne vais toutefois pas vous proposer le clip original, que je trouve pornographique et à la limite de la décence, mais une vidéo tirée d’un de leurs concerts parisiens. Bonne route!

Placebo, Protège-moi

vendredi 2 décembre 2011

20 minutes et l’alcotest

Apparemment le président français Nicolas Sarkozy a demandé le port obligatoire d’un alcotest à bord de tout véhicule, un peu comme on amène avec soi le triangle ou la roue de secours. A priori, je n’avais aucune raison de m’intéresser à la question, étant donné que je n’ai ni voiture ni permis, mais hier on m’a demandé mon avis, donc voilà ce que j’en pense (version intégrale).

Je crois que ce soit une assez bonne idée, puisque ce n’est pas nuisible et il se pourrait que quelqu’un l’utilise. Cependant, si on a bu on a une perception du danger qui est différente: d’un côté on ne se sent pas forcément en un état de détresse tel qu’il justifierait de faire le test, et d’un autre côté même si le résultat est positif on n’a pas automatiquement envie de le prendre en compte dans la décision de se mettre au volant. En effet, combien de personnes savent pertinemment qu’ils ont trop bu (sans pour autant avoir fait un alcotest) et prennent quand même le volant, tout en ayant conscience de leur état d’ivresse?

Donc, oui à la prévention mais en tenant à l’esprit qu’une personne alcoolisée aura du mal à adopter spontanément un comportement préventif rationnel. Il vaudrait probablement mieux introduire le système Alcolock, qui empêche à la voiture de démarrer.

Si vous voulez lire la version (très) synthétisée de ma pensée, ouvrez le 20minutes romand d’aujourd’hui, page 2… Star

20 min

Quittons nous avec une des rares chansons qui mettent en valeur (entre autres) le fait de ne pas savoir conduire, la magnifique "Quattro stracci” de l’italien Francesco Guccini (interviewé juste hier par le quotidien La Repubblica”). Bonne route!

Francesco Guccini, Quattro stracci