dimanche 11 décembre 2011

Le dernier testament de Ben Zion Avrohom

Il y a des personnes qui, prises par une attaque de shopping compulsif, se jettent sur la première boutique de chaussures ou le premier magasin de sacs-à-main qui croise leur route. Chez moi, ce genre d’attaques est plutôt rare, mais s’il y a un endroit où je dépenserais bien des fortunes c’est la Fnac…et ainsi quelques jours en arrière j’en suis sortie avec une nouvelle paire d’écouteurs et une copie toute fraiche du nouvel opus de James Frey, à savoir “Le dernier testament de Ben Zion Avrohom” (2011; Paris: Flammarion, 382 pp.).

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Ce bouquin à l’apparence assez particulière (on dirait qu’il y a des tâches de sang sur les bords des pages), sorti au printemps de cette année aux Etats-Unis et au Royaume uni et à la rentrée en France, n’a pas reçu que des critiques positives, tant dans les pays anglophones (voir par exemple ici, ici et ici) qu’en terre francophone (voir par exemple ici et ici).

Il faut dire que l’auteur s’était déjà mis la plupart des médias à dos en 2006, quand ils avaient découvert que de nombreuses sections de sa prétendue autobiographie étaient en réalité abondamment maquillées et “enjolivées”. Cette obsession de la “vraie vérité” me parait quelque chose sur laquelle il faudrait prendre le temps de réfléchir, puisqu’elle remet en cause le but de la littérature elle-même. Servirait-elle à relater les faits et rien que les faits, telle une agence de presse ou un procès-verbal, ou bien à donner un message à celui qui la lit, en se servant à loisir tant dans la réalité que dans la fantaisie? Je penche pour cette deuxième option. Un passage mémorable sur la relation entre l’écrivain et la vérité a d’ailleurs été écrit par Agota Kristof dans le Troisième Mensonge:
— Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si vous écrivez des choses vraies ou des choses inventées.
Je lui réponds que j’essaie d’écrire des histoires vraies mais, à un moment donné, l’histoire devient insupportable par sa vérité même, alors je suis obligé de la changer. Je lui dis que j’essaie de raconter mon histoire, mais que je ne le peux pas, je n’en ai pas le courage, elle me fait trop mal. Alors j’embellis tout et je décris les choses non comme elles se sont passées, mais comme j’aurais voulu qu’elles se soient passées.
Elle dit :— Oui. Il y a des vies qui sont plus tristes que le plus triste des livres.
Je dis :— C’est cela. Un livre, si triste soit-il, ne peut être aussi triste qu’une vie.
Partant de ces présupposés, je considère que “mentir” est le droit de tout écrivain, qui devrait être jugé pour la qualité de ses œuvres et non pas pour leur adhérence à des évènements réellement advenus. J’ai donc lu ce “Testament”, qui a été intitulé “Le dernier testament de la sainte bible” dans sa version en anglais; voici ce que j’en pense.

Le titre nous met tout de suite au courant du contenu du livre: après l’ancien et le nouveau testament viendrait le “dernier testament”, soit celui de Ben Zion Avrohom. Ben Zion est le protagoniste du récit: une sorte de prophète des temps modernes, marquée dans l’esprit comme dans le corps par une vie triste à la limite du désespoir. Sans église ni prières, il croit en une seule religion composée d’amour libre et universel et de tolérance. Son histoire est racontée par les personnages l’ayant connu et côtoyé (dont des SDF, des anciens drogués, une prostituée qui deviendra sa compagne – ce qui n’est pas sans analogies avec la bible…), qui décrivent chacun à sa manière et dans son propre chapitre leur rencontre avec le “messie”. Bien que les différences de style entre les chapitres ne soient pas exploitées jusqu’au bout, il s’agit bien d’un récit choral ayant un certain charme. Certes, ce n’est pas de la pure théologie, mais le message du prophète est bien clair: dieu n’est pas intelligible, les églises ne sont que des manières d’opprimer les peuples et chacun devrait pouvoir vivre comme bon lui semble, pourvu qu’il aime ses prochains. En effet, dans un monde qui court à sa perte, le seul moyen de s’en sortir et d’éviter de s’auto-détruire serait de commencer à s’aimer. C’est d’ailleurs ce que le personnage fait tout au long du livre: il se balade en long et en large dans la ville de New York, faisant la connaissance tant amicale que “biblique” de nombreux disciples et changeant leurs vies; de temps en temps il “parle avec dieu” et juste après il est saisi par des attaques épileptiques d’une rare violence. Un drôle de guru, qui n’est pas sans rappeler des personnages qu’on a pu connaitre ailleurs, notamment l’invité du film “Théorème” (Pier Paolo Pasolini, 1968)…

Théorème, Pier Paolo Pasolini. Version intégrale

…ou le protagoniste de la chanson “La cattiva strada” (Fabrizio de André, 1975).

La cattiva strada, Fabrizio de André

Le livre de Frey contient des passages lyriques, qui méritent d’être lus, et  la trame est assez bien construite. Voici un exemple, extrait d’un épisode qui a comme protagonistes Ben Zion et Marc, un prêtre catholique, raconté du point de vue de Marc (pp. 248-250):
Marc: “La piété rend la vie meilleure” 
Ben Zion: “C’est l’amour et le rire et la baise qui rendent la vie meilleure. La piété fait passer le temps c’est tout” 
Je l’ai regardé, et il m’a souri. Et même si j’étais en désaccord avec tout ce qu’il disait, ou voulais l’être, sa présence physique écrasante, et le sentiment indéniable et irréfutable qu’il était divin et que, en dépit de ses dénégations, il était le Fils de Dieu, faisait que ses paroles pénétraient au cœur de mon être, et au cœur de ma foi. Il a de nouveau parlé. 
Ben Zion: “Regarde ta croix” 
J’ai dirigé mon regard vers le crucifix suspendu au dessus de l’autel. C’était une représentation réaliste du Christ. La croix et le Christ qui était dessus étaient en bois d’olivier. On voyait les clous à ses mains et à ses chevilles, et son visage était paisible, calme et serein. On voyait une couronne d’épines sur sa tête et ses yeux étaient ouverts. Le Christ lui-même était peint d’une manière que je qualifierais de réaliste, donnant la sensation que c’était une représentation proche de ce qu’était le Christ pendant la crucifixion. Je l’avais vu un nombre incalculable de fois, et m’étais tenu dessous pour célébrer la messe pendant des nombreuses années. J’avais prié devant lui, lui avais demandé conseil, l’avais supplié de m’aider, et l’avais invoqué dans les épreuves et dans la peine. Et bien qu’il fût pour moi la représentation de la Sainte Trinité et de l’Eglise catholique, ce serait mentir que de dire qu’il retenait mon attention autant que l’homme qui était à mes côtés, ou que sa présence avait le même pouvoir que la sienne. Après deux ou trois minutes , pendant lesquelles je n’ai entendu que notre souffle à nous deux, il a posé la main sur ma cuisse. J’ai ressenti immédiatement un jaillissement extrêmement puissant, qui ne pouvait être comparé à rien de ce que j’avais jamais ressenti, quelque chose qui était dans mon sang, mes os, mon cœur, et mon âme, quelque chose qui m’a littéralement coupé le souffle. Et quand je me suis tourné vers lui il s’est levé et s’est penché sur moi et a posé sur ma joue un baiser léger, gardant les lèvres contre ma joue. J’ai fermé les yeux, et je me suis senti durcir, une sensation qui me mettait plutôt mal à l’aise et à laquelle j’avais toujours résisté dans la crainte qu’elle ne m’entraine au péché, mais qui était merveilleuse, absolument et étonnamment merveilleuse. Il a gardé un moment ses lèvres contre ma joue avant de les glisser vers mon oreille, où il a murmuré. 
Ben Zion: “C’est la vie, pas la mort, qui est le grand mystère que tu dois affronter” 
Et il s’en est allé.
Malgré quelques passages bien écrits, cette œuvre ne rentrera pas dans le “Panthéon des meilleurs livres contemporains” et ceci est dû à deux fautes majeures.

Le premier défaut consiste en trop de répétitions dans les différents chapitres, tant au niveau des objets (par exemple, les yeux exceptionnellement noirs et la peau extraordinairement diaphane du protagoniste, qui reviennent à peu près dans tous les chapitres) qu’au niveau des mots utilisés. Un vocabulaire plutôt pauvre, qui s’adapte aux quartiers populaires qui servent de décor au récit, mais qu’à la longue peut être agaçant.

Le deuxième défaut concerne les longs sermons rapportés qui se trouvent eux aussi dans presque tous les chapitres. L’idée de transcrire des discours du protagoniste est en soi intéressante, mais cela devient parfois ennuyeux et excessivement redondant.

Bref, il s’agit d’un assez bon livre, mais pas d’un grand ouvrage, ni d’un bouquin parfait. Vu le sujet, on peut même dire que le verdict est assez proche de la conférence du pasteur Hendrikse de laquelle on avait parlé il y a quelques mois: intéressant, mais aurait nécessité encore du travail pour être abouti.

Pour nous quitter, voici une chanson qui me parait tout à fait adéquate, Dear God des anglais XTC. Bonne route!

Dear God, XTC

1 commentaire:

  1. Un lungo ed articolato commento per un libro che non conosco; di ciò che scrivi (se ho tardotto bene) mi hanno colpito 2 cose in particolare:
    - la prima è il dibattito su quanto la letteratura debba essere fedele alla realtà;
    - la seconda è la frase in cui si dice che è la vita e non la morte il grande mistero da affrontare.
    Ecco, per quanto riguarda la letteratura, penso che sarebbe stato terribile avere libri con cronache esatte sui vari accadimenti...meno male che qualcuno usa la fantasia... e meno male che la verità "esatta" non può esistere, dato che chi scrive è pur sempre una persona che non può far altro che vedere, guardare e sentire con i "suoi occhi" le sue "orecchie" l suo "cuore" il suo "cervello" e perciò, seppure vuole scrivere la "verità" i suoi testi non riporteranno altro che una delle verità possibil: la sua, sicuramente diversa da quella degli altri.
    E allora molto meglio la fantasia, che magari fa star bene oltre chi scrive pure chi legge, e che permette di creare una "falsa" verità letteraria che forse, proprio in funzione della condivisibilità darà successo all'autore.
    Per il secondo punto credo sia vero che il mistero sia la vita e non la morte, anche perchè qualcosa su di essa la possiamo vedere e forse decidere, mentre è perfettamente inutile parlare della morte. In fondo seppure la morte è un mistero, il buio è così fitto che non ha senso neppure discuterci su, conviene non pensarci e basta.
    Bella la canzone degli xtc, ripropone domande che tutti ci siamo messi e mi ricorda tanto quella di Ligabue di cui ora non mi viene il titolo, ma forse mi hai capito... Ciao bacioni francesca

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