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dimanche 13 novembre 2011

Berlusconi adieu, bonjour Monti

Berlusconi, présent sur la scène politique italienne depuis 1993, a démissionné hier soir et a ainsi enterré sa vie politique. Enfin, ou mieux hallelujah, comme l’ont dit tant les manifestants italiens hier soir que les pages de The Economist ce matin.

Hallelujah – Resistenza Musicale Permanente. Rome, 12.11.2011

Des manifestations de joie ont eu lieu un peu partout, dans le monde réel et sur la toile, notamment sur les réseaux sociaux, par exemple sous les hashtags finecorsa (fin de la course) et maipiù (plus jamais). Beaucoup de média traditionnels ont diffusé les images de la contestation devant les palais de pouvoir, avec des commentaires pseudo-étonnés…et une question s’impose: pourquoi les mêmes médias, y compris ceux de gauche, n’ont pas diffusé ces images avant? La contestation des simples citoyens faisait rage depuis un bon moment et les membres du gouvernement étaient depuis longtemps forcés à se cacher et à éviter toute apparition en des lieux publics “non protégés” (par exemple: la rue), mais personne n’en a fait mention.

Un bon exemple de cette cosmétique de l’information est la visite du désormais ancien premier ministre à Nuoro en 2009, complètement blindée et appuyée par une présence massive de forces de l’ordre (dont un sniper): la contestation a bel et bien eu lieu dans la rue (j’étais moi-même là pour en témoigner), mais les médias n’ont transmis que les images prises à l’intérieur d’une salle remplie de militants du parti au gouvernement.



Contestation pendant la visite de Berlusconi à Nuoro, 17.1.2009

Quoi qu’il en soit, ce personnage est désormais politiquement mort. Ceci ne veut pas dire que le berlusconisme ne laisse pas de traces sur la scène politique italienne. En effet, les institutions fondamentales de la démocratie ont été progressivement privées de leurs rôles, le débat politique et le discours publique tout court se sont centrés sur la personne de Silvio Berlusconi, et pour finir les mots eux mêmes se sont vidés de leur sens. Voici donc l’héritage de 17 ans de berlusconisme: un pays en ruines et sans fantaisie, puisque, si on en croit Wittgenstein, les limites de notre langage signifient les limites de notre propre monde.

Quelques jours en arrière, j’avais émis la  prévision que le successeur au poste de premier ministre aurait été quelqu’un d’agrée par l’église catholique. Cette affirmation, qui a pu paraitre un peu bizarre a certains, était motivée par la constatation que la seule institution qui ait survécu au cataclysme berlusconien est exactement l’église, une organisation qui a historiquement toujours eu un grand pouvoir en Italie et qui peut aussi compter sur une grande disponibilité de moyens (ce qui, en temps de crise, est plutôt rare). A la suite de réunions qui ont débuté cet été, la décision semble désormais s’être arrêtée sur Mario Monti, économiste libéral formée à l’université privée milanaise Bocconi (donc idéal pour mettre en place les politiques néolibérales dont on a déjà partiellement parlé), ex-commissaire européen (donc bien aimé par les autorités de l’UE, qui tiennent les cordons de la bourse)…et (surprise surprise) ancien élève des jésuites, catholique et déjà appuyé par l’église (tant en Italie qu’en France), qui l’avait entre autres déjà suggéré comme chef de la République en 2006 (cela n’a jamais abouti).

Si l’investiture de Monti semble désormais certaine, il y a encore quelques doutes sur les ministres qui feront partie de son gouvernement. Une chose est sure: si on se fie aux noms qui circulent sur la presse italienne, on peut remarquer la présence de vieux politiciens bien connus, qui ont déjà eu l’occasion de démontrer leurs talents par le passé et qui ont remarquablement échoué…tel un fromage qu’on n’a pas aimé, et qu’on ressort du fond du frigo, un peu moisi, parce qu’on on a oublié de faire les courses. Pourquoi les partis soutiennent-ils donc un tel bouquet choisi?

La réponse n’est pas si facile à trouver (merci MF pour la conversation intéressante qui a mené à l’analyse qui suit). Il se pourrait que ce choix soit motivé par un vide absolu, mais cette option est difficile à croire, puisque dans quelques mois il y aura les élections et les partis devront bien présenter quelques candidats. De plus, dans un pays qui compte 945 parlementaires (contre 246 en Suisse, 535 aux USA, 614 en Espagne, 925 en France), c’est invraisemblable qu’on ne trouve que des vétérans pour occuper le poste de ministre. Il faut donc examiner une deuxième option. Comme on l’a déjà dit, les mesures prochainement adoptées par le gouvernement Monti seront calquées sur les demandes de Bruxelles: en gros, des coupes au budget de l’Etat et des restructurations de l’appareil étatique en pur style néolibéral… tout ce qu’il y a de plus impopulaire. Puisque les choses impopulaires ne sont pas du gout des électeurs, tout le monde s’en est lavé les mains jusqu’à maintenant. Voici pourquoi les élus en chargent le futur “gouvernement technique”: pour qu’il fasse le sale boulot (ce que les “marchés financiers” attendent) et qu’après les candidats puissent se représenter aux élections les mains propres, en disant “Ce n’est pas de notre faute”. Parfaitement logique et compréhensible.
Le problème avec ce genre de choix est double. D’un côté, cela remet en cause l’essence même de la démocratie, puisque ce ne sont plus des élus qui se chargent de la chose publique, mais des “illuminés” choisis selon d’autres critères que le vote des citoyens. De l’autre côté, la notion même de gouvernement en sort ébranlée, vu que la gestion de l’Etat devrait impliquer le bien de la population…et, si jusque là elle a impliqué la sauvegarde des intérêts d’un seul individus, elle va désormais impliquer la réponse à des impératifs provenant des “marchés financiers” (impératifs  définis de manière plutôt obscure par des systèmes fumeux et non-redevables envers les électeurs).

En somme, Berlusconi est politiquement enterré (même s’il essaie de sortir de sa tombe, voir ci-contre), mais on n’est pas prêts d’en découdre avec le berlusconisme, ni d’assister à l’émergence d’une classe dirigeante renouvelée en Italie.

Immagine

Et, qui plus est, les italiens devront se préparer à se serrer sérieusement la ceinture, avec les plans néolibéraux que le gouvernement Monti se prépare a adopter.
Triste et lourd héritage celui de cette période obscure de l’histoire italienne. En attente de voir comment tout cela va évoluer, changeons d’air: voici un Héritage bien meilleur et qui vient d’ailleurs: il s’agit du nouvel album du groupe suédois Opeth, un rock progressif de haute qualité qui n’est pas sans rappeler des grands classiques des années 1970. Tiré de cet album, “The Devil’s Orchard”: une excellente sonorité, proche de certaines sonorités présentes dans “Jesus Christ Superstar”, et un beau texte, plutôt adéquat pour ces temps troubles. Bonne écoute et bonne route!

Opeth–The Devil’s Orchard. Heritage, 2011

mardi 8 novembre 2011

Chute de Berlusconi? Un peu de saine autocritique, svp

Il y a à peine quelques dizaines de minutes, la nouvelle de la prochaine démission du premier ministre italien Silvio Berlusconi a été transmise par les principaux médias nationaux et internationaux, et de là elle a atterri sur les différents réseaux sociaux et dans les conversations de nombreux de mes compatriotes. Si on s’en tient aux quotidiens italiens et aux réseaux sociaux, une seule atmosphère triomphante semble dominer: tous se réjouissent de ce résultat, comme s’il s’agissait s’un but que les opposants ont réussi a atteindre à la suite d’un âpre combat. Pour s’en rendre compte, il suffit de penser au tag qui a été choisi sur Twitter pour identifier la chute du gouvernement: resadeiconti, soit quelque chose comme “l’heures des comptes”, celle qui sonne à la fin de la bataille.
Voilà donc que tous (ou presque) envahissent l’espace public avec des messages de joie et célébration, des “finalement!” enthousiastes, des déclarations de haine envers cette partie politique (et d’amour envers la partie adverse). Tout se passe comme si toutes les fautes tombaient sur une poignée d’hommes et de femmes, et non pas sur tout un système qui les a élus, soutenus et laissés au pouvoir pendant des nombreuses années. Pire encore, un discours dominant est construit sur le postulat (faux) que depuis un temps incalculable les partis et mouvements de la gauche italienne employaient toutes leurs énergies pour faire tomber ce système de pouvoir.
Or, si beaucoup de citoyens italiens ont une mémoire courte (chose que l’on peut comprendre et même excuser: après tout, ce sont les mêmes qui ont voté pour “Mister B.” à plusieurs reprises), vous, chers lecteurs, ne tombez surtout pas dans la même erreur!
N’oubliez pas que les partis italiens de gauche ont été pendant toutes ces années autant impliqués et connivents que les partis de droite dans le maintient de certains louches personnages au pouvoir. Ils n’ont pas abandonné les travaux du parlement, ils n’ont pas réagi aux innombrables gaffes et débordements politiques du gouvernement Berlusconi, ils n’ont pas (et pas encore) proposé des sérieuses alternatives politiques, ils n’ont pas (et pas encore) pris position en faveur des jeunes, des femmes, des pauvres, des employés du secteur publique et de nombreuses autres catégories que cet establishment a quotidiennement insultées, méprisées et marginalisées.
De plus, ne vous laissez pas tenter par l’illusion qu’une nouvelle classe politique novatrice pourrait enfin émerger en Italie: il n’en sera rien! Si le gouvernement Berlusconi va tomber, ce sera seulement pour être substitué par un autre gouvernement Berlusconi ou par un gouvernement technocratique, et si élections y aura, elles auront lieu avec la même loi électorale que maintenant, donc avec des candidats choisi par les partis (…partis qui sont les mêmes qui à travers leur (in)action ont permis que Berlusconi et sa compagnie restent au gouvernement jusqu’à maintenant…).
Très probablement, la chute de Berlusconi est à mettre en relation avec un accord en cachette entre les politiciens du centre (centre-droit et centre-gauche) et les hauts prélats du Vatican, ce qui était dans l’air depuis cet été déjà. Puisque la classe politique italienne actuelle est nulle (et non-advenue, pourrait-on dire), et puisque les électeurs ont une mémoire équivalent à celui d’un poisson rouge (un tour du bocal au grand maximum), il ne faudra pas s’étonner de voir arriver au pouvoir une série de politiciens proprets et politiquement corrects, proposant de se serrer la ceinture mais de continuer tout de même à encourager des “politiques pour la famille”, des libéralisations de certains secteurs spécifiques (comme les hôpitaux, que l’église sait “si bien” financer et administrer) et des structures paritaires (écoles privées, centres d’accueil…). Bref, un Etat providence boiteux, qu’au lieu de se renouveler (ce qui aurait requis tout de même des vrais leaders) transformera l’assistance sociale en secours pieux.
Dans tout cela, pas l’ombre d’une proposition pour la politique industrielle, ou pour la politique éducative, ou encore pour le secteur public et l’administration, ou le système fiscal. Zéro. Et certes, l’auto-célébration des partis de gauche, menée sans remettre en cause leurs responsabilité dans la naissance, le triomphe et la longue survie agonisante du système berlusconien (et en sautant une étape fondamentale dont certains des anciens militants de gauche devraient se souvenir: l’autocritique), ne permet pas de repartir sur des bases nouvelles et dans des directions positives.
Bien que les bases du système restent inchangées, et qu’il s’agisse d’une fin bien illusoire, rien ne nous empêche de nous consoler de cet état de choses en écoutant de la bonne musique. Et puisque il s’agit d’une “fin” (plus dans le discours qui est en train d’être construit que dans les faits), rien de mieux que la merveilleuse “The End” de “The Doors”. Bonne route!
The Doors–The End