Il y a presque deux semaines, le 14 juin, c’était la journée de célébration de la vingtième grève des femmes en Suisse. Plusieurs arguments étaient sur la table, comme l’égalité salariale ou l’augmentation des postes à temps partiel et le partage de tâches domestiques. Clairement, si une grève est (peut-être) un bon moyen pour revendiquer des salaires égaux, elle a très peu d’influence sur ce que les gens font dans l’intimité de leur foyer…et employer plus de femmes dans des postes à temps partiel revient à les renfermer encore plus dans des rôles genrées subalternes.
Or, pour que les modes de vie changent en manière profonde et durable, il ne sert à rien d’imposer des idéaux (ou des idéologies): il faut juste sensibiliser les individus à la construction sociale du genre et ceci dès leur plus tendre âge, tout en leur laissant la liberté d’adopter, ensuite, le comportement qu’ils préfèrent. D’un habitus imposé et “naturalisé” on passerait donc, enfin, à un comportement choisi.
C’est ce point de vue que partage Stéphanie Pahud, maître assistante à l’Université de Lausanne et auteure du “Petit traité de désobéissance féministe”. [Pahud, S. (2011) Petit traité de désobéissance féministe. Neuchâtel: Arttesia]
L’auteur, en effet, affirme: “[cet ouvrage]…s’adresse à toutes celles et à tous ceux qui ne viennent ni de Mars, ni de Venus, mais d’”ici”, et qui ont envie de voyager librement dans les méandres d’un terrain de jeu in(dé)fini. Sa seule ambition est de questionner les représentations qui nous entourent de manière à les rendre “évidentes” et à permettre à chacune et à chacun, selon son désir, de désobéir. Ou pas.” (p.17)
Il s’agit d’un petit livre bien écrit, idéal pour se familiariser avec le concepts de “genre” et de “construction sociale du genre” même lorsqu’on n’a jamais suivi des cours de sociologie.
Après une introduction qui présente le but de l’ouvrage, la première partie est dédiée à expliquer ce qu’est le genre (construction sociale; comme écrivait Simone de Beauvoir, “On ne nait pas femme, on le devient”) par opposition au sexe (donnée biologique) et quelles sont les différentes courants féministes (essentialiste vs. universaliste; pour plus de détails voire ici).
La deuxième partie contient une étude de cas assez classique, sur les rôles de genre tels que véhiculés par la publicité. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une approche révolutionnaire, l’étude d’affiches et autres dispositifs promotionnels est d’impact immédiat et reste un outil didactique efficace, surtout lorsque, comme c’est le cas ici, le livre s’adresse à un grand public.
Si vous n’avez pas envie de faire le déplacement jusqu’à Payot ou à une bibliothèque pour vous procurer le bouquin, voici quelques sites internet qui présentent des études de cas semblables (1, 2, 3).
Si jamais, ici en bas vous pouvez aussi visionner une conférence de Jean Kilbourne sur la construction des genres féminin et masculin dans les annonces publicitaires.
La troisième partie présente une deuxième étude de cas, plus novatrice et insérée dans le contexte local, qui est dédiée à la politique suisse et plus particulièrement aux élections au Conseil Fédéral et au traitement réservé par la presse aux politiciennes helvétiques (une partie de cette analyse se retrouve ici).
Enfin, la quatrième partie contient une série d’interventions de nombreuses personnalités (environ 50) plus ou moins connues à l’échelle régionale, nationale et francophone et appartenant surtout au monde journalistique, politique et académique (comme Darius Rochebin, Martina Chyba, Oskar Freysinger ou Salika Wegner), avec les réponses à la question “Etes-vous féministe?”. Les arguments avancés sont variés et plus ou moins engagés. En effet, bien qu’une très large majorité se dise en faveur de l’égalité de droits, la plupart des intervenants adoptent un féminisme modéré et édulcoré. Si, du moins partiellement, ceci a sans doute à faire avec la culture politique du consensus, qui se traduit en une profonde méfiance envers les positions “extrêmes”, en lisant les arguments avancés on se rend compte du perdurer des convictions essentialistes chez la plus grande partie de l’échantillon. Ainsi, la “féminité” est encore perçue par beaucoup comme une composante intrinsèque de la “femme”…ce qui démontre que le chemin à faire pour que le genre soit universellement perçu comme construction sociale est encor long!
On arrive donc à la question du titre, à savoir: quel est le lien entre Lady Gaga et l’enseignement obligatoire? Ce lien est la construction sociale du genre, telle qu’elle est faite dans nos sociétés “libérales”!
Malheureusement en effet, malgré le fait que dans nos pays occidentaux et démocratiques la condition féminine ne soit pas si dramatique comme ailleurs (voire 1, 2, 3), on dénie souvent aux femmes le droit de contrôler leur corps ou de développer des caractères audacieux, battants, décidés et pragmatiques.
Cette construction dominante du genre, conjuguée à l’attitude essentialiste d’une grande partie de la population, qui fait coïncider le genre et le sexe, explique par exemple les polémiques autour de la chanteuse étasunienne Lady Gaga.
Afin que la distinction entre hommes et femmes perde son caractère stigmatisant, pour se réduire à une classification autant ininfluente que celle entre “noirauds” et “châtains”, (ou “aux yeux verts” vs. “aux yeux bleus”), beaucoup de travail reste donc à faire, non seulement avec les adultes (médias, livres, politique….) mais aussi et surtout avec les jeunes (il est grave et révoltant qu’on puisse sortir de l’école obligatoire sans aucune formation en ce sens!). C’est seulement de cette manière, je crois, qu’on pourra influer sur les convictions et les attitudes des individus, non seulement dans l’espace public (par exemple pour ce qui est des contrats de travails, ou des quotas dans les CDA), mais aussi dans l’espace privé (où les mentalités ont beaucoup plus d’influence que les réglementations).
L’été a commencé et les vacances s’approchent: quelques enseignants envisageront peut-être d’insérer cette dimension dans leurs cours pour la rentrée?
En attendant, il vaut mieux réfléchir en écoutant de la bonne musique plutôt qu’en silence. Voici donc ce morceaux des Durutti Column dédié à l’été. Bonne route!
Or, pour que les modes de vie changent en manière profonde et durable, il ne sert à rien d’imposer des idéaux (ou des idéologies): il faut juste sensibiliser les individus à la construction sociale du genre et ceci dès leur plus tendre âge, tout en leur laissant la liberté d’adopter, ensuite, le comportement qu’ils préfèrent. D’un habitus imposé et “naturalisé” on passerait donc, enfin, à un comportement choisi.
C’est ce point de vue que partage Stéphanie Pahud, maître assistante à l’Université de Lausanne et auteure du “Petit traité de désobéissance féministe”. [Pahud, S. (2011) Petit traité de désobéissance féministe. Neuchâtel: Arttesia]
L’auteur, en effet, affirme: “[cet ouvrage]…s’adresse à toutes celles et à tous ceux qui ne viennent ni de Mars, ni de Venus, mais d’”ici”, et qui ont envie de voyager librement dans les méandres d’un terrain de jeu in(dé)fini. Sa seule ambition est de questionner les représentations qui nous entourent de manière à les rendre “évidentes” et à permettre à chacune et à chacun, selon son désir, de désobéir. Ou pas.” (p.17)
Il s’agit d’un petit livre bien écrit, idéal pour se familiariser avec le concepts de “genre” et de “construction sociale du genre” même lorsqu’on n’a jamais suivi des cours de sociologie.
Après une introduction qui présente le but de l’ouvrage, la première partie est dédiée à expliquer ce qu’est le genre (construction sociale; comme écrivait Simone de Beauvoir, “On ne nait pas femme, on le devient”) par opposition au sexe (donnée biologique) et quelles sont les différentes courants féministes (essentialiste vs. universaliste; pour plus de détails voire ici).
La deuxième partie contient une étude de cas assez classique, sur les rôles de genre tels que véhiculés par la publicité. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une approche révolutionnaire, l’étude d’affiches et autres dispositifs promotionnels est d’impact immédiat et reste un outil didactique efficace, surtout lorsque, comme c’est le cas ici, le livre s’adresse à un grand public.
Si vous n’avez pas envie de faire le déplacement jusqu’à Payot ou à une bibliothèque pour vous procurer le bouquin, voici quelques sites internet qui présentent des études de cas semblables (1, 2, 3).
Si jamais, ici en bas vous pouvez aussi visionner une conférence de Jean Kilbourne sur la construction des genres féminin et masculin dans les annonces publicitaires.
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Enfin, la quatrième partie contient une série d’interventions de nombreuses personnalités (environ 50) plus ou moins connues à l’échelle régionale, nationale et francophone et appartenant surtout au monde journalistique, politique et académique (comme Darius Rochebin, Martina Chyba, Oskar Freysinger ou Salika Wegner), avec les réponses à la question “Etes-vous féministe?”. Les arguments avancés sont variés et plus ou moins engagés. En effet, bien qu’une très large majorité se dise en faveur de l’égalité de droits, la plupart des intervenants adoptent un féminisme modéré et édulcoré. Si, du moins partiellement, ceci a sans doute à faire avec la culture politique du consensus, qui se traduit en une profonde méfiance envers les positions “extrêmes”, en lisant les arguments avancés on se rend compte du perdurer des convictions essentialistes chez la plus grande partie de l’échantillon. Ainsi, la “féminité” est encore perçue par beaucoup comme une composante intrinsèque de la “femme”…ce qui démontre que le chemin à faire pour que le genre soit universellement perçu comme construction sociale est encor long!
On arrive donc à la question du titre, à savoir: quel est le lien entre Lady Gaga et l’enseignement obligatoire? Ce lien est la construction sociale du genre, telle qu’elle est faite dans nos sociétés “libérales”!
Malheureusement en effet, malgré le fait que dans nos pays occidentaux et démocratiques la condition féminine ne soit pas si dramatique comme ailleurs (voire 1, 2, 3), on dénie souvent aux femmes le droit de contrôler leur corps ou de développer des caractères audacieux, battants, décidés et pragmatiques.
Cette construction dominante du genre, conjuguée à l’attitude essentialiste d’une grande partie de la population, qui fait coïncider le genre et le sexe, explique par exemple les polémiques autour de la chanteuse étasunienne Lady Gaga.
Ne pouvant pas concevoir l’existence d’une telle femme, sortant des stéréotypes liés au caractère et à l’apparence physique, des nombreux commentateurs se sont empressés de jaser sur l’”essence” même de Gaga, jusqu’à l’interview ici à coté où une journaliste lui a demandé si elle ne serait par hasard un homme (!). |
L’été a commencé et les vacances s’approchent: quelques enseignants envisageront peut-être d’insérer cette dimension dans leurs cours pour la rentrée?
En attendant, il vaut mieux réfléchir en écoutant de la bonne musique plutôt qu’en silence. Voici donc ce morceaux des Durutti Column dédié à l’été. Bonne route!
Post scriptum
Le Matin s'est occupé de l'ouvrage de Stéphanie Pahud juste quelques heures après que ce post a été publié; vous pouvez consulter l'article et l'interview à l'auteure ici (merci M. pour l'info! :-) ).
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