Aujourd’hui, pendent qu’en Suisse on fête l’Ascension, en Italie c’est la fête de la République, qui célèbre le referendum avec lequel le italiens ont choisi la République à la place de la monarchie, le 2 juin 1946.
Victoire de la République en Italie. Italie: Keystone, 1946. Noir et blanc.
Après 65 ans, l’Italie, bien que remplie de retraités, reste une république jeune, avec un système politique encore en phase de stabilisation et, à tous les niveaux, des dynamiques bien différentes de celles qui avaient été imaginées par les pères de la Constitution entre 1946 et 1948. En effet ce qui a trait à l’Etat fonctionne de manière souvent clanique, avec des services distribués en fonction de l’appartenance politique et selon une logique prébendière…et l’Etat lui-même est parasité par des politiciens qui, pour la plupart, ne sont pas élus démocratiquement mais sélectionnés par leurs partis d’appartenance (voir par exemple 1, 2).
Si la partitocratie italienne existe depuis 65 ans (sinon plus), il est vrai que tout le système a empiré depuis l’arrivée en politique de Silvio Berlusconi (AKA “Mister B”, le “psycho-nain” ou le “pédo-nain”) et l’instauration du “berlusconisme” en Italie. Le sujet est trop long pour faire l’objet d’un post, mais vous pouvez vous renseigner largement sur le net, par exemple en regardant le documentaire “The Berlusconi Show”, transmis par la BBC le 24 mars 2010 et disponible sur Youtube (1,2,3,4,5,6).
Malgré les scandales (financiers, judiciaires, sexuels) qui l’ont secoué, les italiens ont continué à voter pour lui et pour son parti pendant une décennie et demie: un phénomène inexplicable et effrayant, probablement partiellement motivé par les discours diffusés sur les télés et les journaux de propriété berlusconienne, mais surtout par le fait que tous les comportements illégaux, anti-communautaires et finalement anti-sociaux (l’exemple typique est l’évasion fiscale, donc le fait de ne pas payer les impôts) ont été légitimés par les membres de son parti et par sa propre histoire personnelle.
L’Italie s’est donc retrouvée divisée en deux parties, au delà de la classique division droite-gauche: le groupe de ceux qui soutenaient Berlusconi et les valeurs de “la loi de la jungle”, où le plus malin triche et les autres paient les pots cassés et le groupe des autres, qui continuaient à accorder une certaine valeur aux concepts d’Etat et de citoyenneté. Bien évidemment, en un contexte de crise des valeurs, des idéologies et des institutions traditionnelles (au début des années 1990 on a assisté à la dissolution des grands partis de l’après guerre, mais aussi à la crise des idéologies socialistes et communistes et à un effritement progressif du rôle de “guide morale” de l’église catholique), des nombreux italiens ont considéré qu’il valait mieux essayer de sauver sa peau même en laissant couler le bateau et ils se sont vite ralliés du coté des “malins”.
Et voilà expliquée, de manière un peu simpliste, l’épopée de conquête berlusconienne de l’Italie. On pourrait rajouter à cela le rôle ambigu des partis de gauche et d’une partie de l’église catholique, les attaques personnelles aux adversaires politiques, la distribution féodale d’argent et charges publiques aux “amis”, la manipulation des médias et la construction d’une hégémonie basée sur une conception délirante du pouvoir judiciaire, du “communisme” et de la fonction de gouvernement en général. On pourrait rajouter tout cela, mais je ne le ferai pas. Je me contenterai de souligner qu’on a beau sauter d’un bateau qui coule: si on n’a pas de chaloupe cela revient à se noyer plus tôt. Et en effet, si l’Italie était un navire qui prenait de l’eau, avec l’arrivée de “Mister B” au pouvoir elle s’est transformée en un véritable Titanic…et les anciens électeurs de B se retrouvent face à des problèmes bien plus prégnants que se sentir “le plus malin”, comme trouver un travail, payer les factures, devoir sortir de leur poche l’argent pour les craies ou le papier toilette pour l’école (publique) de leurs enfants…
Si des tels soucis avaient été balayés sous le tapis par la propagande des dernières années, ils deviennent à présent des obstacles de taille dans la vie quotidienne de la plupart des italiens. Et ainsi, quand quelqu’un a le courage de les amener sur la place publique, pour en débattre, de moins en moins de monde accepte de se voiler la face. De cette manière, quand des nouveaux visages se sont portés candidats pour les élections administratives quelques semaines en arrière et ils ont recadré le débat sur des sujets comme la légalité, l’honnêteté, les services publics, cela a eu l’effet d’une tornade.
Une avalanche de voix ont plébiscité Pisapia à Milan, De Magistris à Naples, Zedda à Cagliari et beaucoup d’autres dans les villes plus petites: des visages nouveaux, externes aux partis et qui ne sont pas des politiciens professionnels. Ils sont arrivés au bon moment et avec les bons arguments et à ce moment précis le pays a commencé à comprendre que le roi est nu.
Le parti de B, donc, s’effondre sur lui même, tel un château de cartes et ce ne serait pas étonnant que dans quelques mois quelques uns se demandent comme il a fait pour tenir si longtemps. Entretemps l’opposition (Partito Democratico, équivalent du français PS) reste liquéfiée, incapable de choisir entre une alliance avec les catholiques qui la rendrait boiteuse et incapable de s’exprimer sur nombre de sujets (FIV, euthanasie, lutte à la discrimination, PACS etc.) et une alliance avec la véritable gauche (représentée par Vendola du SEL-Gauche Et Liberté et Di Pietro de l’IDV-Italie Des Valeurs) qui serait mal-vue par les catholiques intégristes. Voici un autre paradoxe de la partitocratie à l’italienne: une classe politique tellement lointaine du pays réel qu’elle surestime largement la part de la religion dans les choix de l’électorat et ce-faisant perd des voix et en plus nuit à la création d’un véritable Etat laïque.
En attendant que l’opposition se réveille et en espérant que les citoyens italiens n’arrêtent pas le mouvement de renouvellement qu’ils ont commencé, la prochaine étape est le referendum national contre le nucléaire le 12 et 13 juin prochains. Ce sera aussi l’occasion pour se prononcer sur la privatisation de l’eau et sur l’”empêchement légitime” (c’est à dire la loi faite pour que B ne soit pas jugé pour ses crimes). A ce moment là on pourra voir si effectivement le pays a commencé un changement ou si le “pédo-nain” et sa compagnie réussiront à nouveau à se tirer d’affaire.
Pour l’instant, contentons nous de fêter le résultat des administratives, l’ascension et la fête de la République avec ces deux chansons. La première est un classique des Rolling Stones rendu à nouveau populaire par la pub de “Bleu de Chanel” et la deuxième est un morceau de Rino Gaetano, chanteur italien mort exactement trente ans en arrière. Bonne route!
Victoire de la République en Italie. Italie: Keystone, 1946. Noir et blanc.
Après 65 ans, l’Italie, bien que remplie de retraités, reste une république jeune, avec un système politique encore en phase de stabilisation et, à tous les niveaux, des dynamiques bien différentes de celles qui avaient été imaginées par les pères de la Constitution entre 1946 et 1948. En effet ce qui a trait à l’Etat fonctionne de manière souvent clanique, avec des services distribués en fonction de l’appartenance politique et selon une logique prébendière…et l’Etat lui-même est parasité par des politiciens qui, pour la plupart, ne sont pas élus démocratiquement mais sélectionnés par leurs partis d’appartenance (voir par exemple 1, 2).
En gros, un citoyen honnête et avec peu de liens à l’intérieur du système des partis et/ou des organisations catholiques (par exemple CL ou l’Opus Dei, qui empiètent largement dans la vie politique) aura non seulement très peu de possibilités de choisir ses représentants, mais il sera aussi très dur pour lui avoir un job bien payé et en plus il devra “bénéficier” d’infrastructures délabrées et services publics mal fonctionnant. (Cette vidéo est juste un exemple de situation face à laquelle les communs citoyens peuvent se sentir démunis.) |
Malgré les scandales (financiers, judiciaires, sexuels) qui l’ont secoué, les italiens ont continué à voter pour lui et pour son parti pendant une décennie et demie: un phénomène inexplicable et effrayant, probablement partiellement motivé par les discours diffusés sur les télés et les journaux de propriété berlusconienne, mais surtout par le fait que tous les comportements illégaux, anti-communautaires et finalement anti-sociaux (l’exemple typique est l’évasion fiscale, donc le fait de ne pas payer les impôts) ont été légitimés par les membres de son parti et par sa propre histoire personnelle.
L’Italie s’est donc retrouvée divisée en deux parties, au delà de la classique division droite-gauche: le groupe de ceux qui soutenaient Berlusconi et les valeurs de “la loi de la jungle”, où le plus malin triche et les autres paient les pots cassés et le groupe des autres, qui continuaient à accorder une certaine valeur aux concepts d’Etat et de citoyenneté. Bien évidemment, en un contexte de crise des valeurs, des idéologies et des institutions traditionnelles (au début des années 1990 on a assisté à la dissolution des grands partis de l’après guerre, mais aussi à la crise des idéologies socialistes et communistes et à un effritement progressif du rôle de “guide morale” de l’église catholique), des nombreux italiens ont considéré qu’il valait mieux essayer de sauver sa peau même en laissant couler le bateau et ils se sont vite ralliés du coté des “malins”.
Et voilà expliquée, de manière un peu simpliste, l’épopée de conquête berlusconienne de l’Italie. On pourrait rajouter à cela le rôle ambigu des partis de gauche et d’une partie de l’église catholique, les attaques personnelles aux adversaires politiques, la distribution féodale d’argent et charges publiques aux “amis”, la manipulation des médias et la construction d’une hégémonie basée sur une conception délirante du pouvoir judiciaire, du “communisme” et de la fonction de gouvernement en général. On pourrait rajouter tout cela, mais je ne le ferai pas. Je me contenterai de souligner qu’on a beau sauter d’un bateau qui coule: si on n’a pas de chaloupe cela revient à se noyer plus tôt. Et en effet, si l’Italie était un navire qui prenait de l’eau, avec l’arrivée de “Mister B” au pouvoir elle s’est transformée en un véritable Titanic…et les anciens électeurs de B se retrouvent face à des problèmes bien plus prégnants que se sentir “le plus malin”, comme trouver un travail, payer les factures, devoir sortir de leur poche l’argent pour les craies ou le papier toilette pour l’école (publique) de leurs enfants…
Si des tels soucis avaient été balayés sous le tapis par la propagande des dernières années, ils deviennent à présent des obstacles de taille dans la vie quotidienne de la plupart des italiens. Et ainsi, quand quelqu’un a le courage de les amener sur la place publique, pour en débattre, de moins en moins de monde accepte de se voiler la face. De cette manière, quand des nouveaux visages se sont portés candidats pour les élections administratives quelques semaines en arrière et ils ont recadré le débat sur des sujets comme la légalité, l’honnêteté, les services publics, cela a eu l’effet d’une tornade.
Une avalanche de voix ont plébiscité Pisapia à Milan, De Magistris à Naples, Zedda à Cagliari et beaucoup d’autres dans les villes plus petites: des visages nouveaux, externes aux partis et qui ne sont pas des politiciens professionnels. Ils sont arrivés au bon moment et avec les bons arguments et à ce moment précis le pays a commencé à comprendre que le roi est nu.
Le parti de B, donc, s’effondre sur lui même, tel un château de cartes et ce ne serait pas étonnant que dans quelques mois quelques uns se demandent comme il a fait pour tenir si longtemps. Entretemps l’opposition (Partito Democratico, équivalent du français PS) reste liquéfiée, incapable de choisir entre une alliance avec les catholiques qui la rendrait boiteuse et incapable de s’exprimer sur nombre de sujets (FIV, euthanasie, lutte à la discrimination, PACS etc.) et une alliance avec la véritable gauche (représentée par Vendola du SEL-Gauche Et Liberté et Di Pietro de l’IDV-Italie Des Valeurs) qui serait mal-vue par les catholiques intégristes. Voici un autre paradoxe de la partitocratie à l’italienne: une classe politique tellement lointaine du pays réel qu’elle surestime largement la part de la religion dans les choix de l’électorat et ce-faisant perd des voix et en plus nuit à la création d’un véritable Etat laïque.
En attendant que l’opposition se réveille et en espérant que les citoyens italiens n’arrêtent pas le mouvement de renouvellement qu’ils ont commencé, la prochaine étape est le referendum national contre le nucléaire le 12 et 13 juin prochains. Ce sera aussi l’occasion pour se prononcer sur la privatisation de l’eau et sur l’”empêchement légitime” (c’est à dire la loi faite pour que B ne soit pas jugé pour ses crimes). A ce moment là on pourra voir si effectivement le pays a commencé un changement ou si le “pédo-nain” et sa compagnie réussiront à nouveau à se tirer d’affaire.
Pour l’instant, contentons nous de fêter le résultat des administratives, l’ascension et la fête de la République avec ces deux chansons. La première est un classique des Rolling Stones rendu à nouveau populaire par la pub de “Bleu de Chanel” et la deuxième est un morceau de Rino Gaetano, chanteur italien mort exactement trente ans en arrière. Bonne route!
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