vendredi 23 mars 2012

Le marin rejeté par la mer

Ma connaissance de la littérature japonaise est franchement limitée, pour ne pas dire presque inexistante. En gros, à part l’œuvre du génial Haruki Murakami je n’y connais pas grande chose. Et quoi de mieux que ces temps d’extrémistes en tout genre pour lire un peu, en particulier un auteur comme Yukio Mishima.

J’ai décidé d’aborder Mishima par “Le marin rejeté par la mer”, un petit roman qui recueille certains des éléments centraux de son style et de sa poétique.

Mishima, Yukio (2009 [1963]). Le marin rejeté par la mer. Paris: Gallimard.

Le livre a deux protagonistes, Noboru et Ryûji. Noboru est un orphelin de 13 ans, vivant avec sa mère Fusako dans la ville d’Osaka. Il va à l’école et fait partie d’une bande d’adolescents, fascinés par des idéaux romantiques et par une certaine idée de l’héroïsme. A travers le récit des rencontres de ce groupe, émerge une passion morbide pour l’apathie, qui évolue main dans la main avec une sorte de désespoir violent et un gout pour la mort.

Un jour d’été le navire Rakuyo arrive à Osaka: Noboru insiste pour que sa mère l’amène le visiter…et c’est sur ce même navire qu’ils rencontrent Ryûji, marin qui deviendra l’amant et puis le compagnon de sa mère.

Ryûji est lui aussi fasciné par les valeurs, l’héroïsme, la tradition. Il est parti sur la mer pour échapper à la terre et d’une certaine façon pour se créer un monde de souffrance, où jouer le rôle de victime flamboyante et où avoir la sensation de côtoyer la mort de près.

Tant le monde de Ryûji que celui de Noboru excluent les sentiments de tous les jours, les dévalorisent en la faveur de “nobles vertus” telles que la gloire, la fermeté, le courage. Les deux veulent se battre pour une “Cause”, unique et lumineuse même s’ils n’en connaissent pas l’essence. Ryûji représente le héros parfait aux yeux de Noboru: un homme téméraire, une sorte de guerrier qui se détache du monde pour servir une Cause, dans son cas la mer.

Le roman bascule quand Ryûji quitte la mer pour l’amour, s’installant avec Noboru et sa mère. Cette trahison des “vraies valeurs” pour des “vils sentiments” provoquera une crise profonde tant chez le marin que chez le garçon. Ryûji ne trouve plus de raison à sa vie, puisqu’elle est désormais ennuyeuse, vidée du sens que lui donnait l’idée de servir une “Cause”, de pouvoir à tout moment mourir en héros. Noboru, quant à lui, en veut à Ryûji qui le déçoit et en parle à sa bande de copains. Ensemble, les garçons décident de tuer Ryûji: ils pensent que cela sera un acte héroïque, à la fois vengeant "la Cause” et leur permettant de s’élever au dessus des hommes communs. Cela n’arrange pas seulement Noboru: en effet, Ryûji a nostalgie de celui qui était son rôle tragique au beau milieu de la mer et il accepte, consciemment ou inconsciemment, de se faire tuer pour accéder à “la Gloire”.

Le roman est axé sur le romantisme tragique, et il est donc imbu d’un lyrisme omniprésent et à traits excessif, centré sur l’introspection. Les descriptions sont aussi très présentes, surtout celles de la mer et de la lumière, que ce soit du soleil ou des lampes ou lanternes. C’est agréable à lire, avec un langage soigné mais pas excessivement; le seul élément qui dérange la fluidité du récit est la forte présence des éléments descriptifs.

Cette histoire tragique reflète l’histoire même de Yukio Mishima, sa fascination pour la mort et pour le choix d’une mort glorieuse – surtout suite à son vécu de la deuxième guerre mondiale, sa nécessité de lyrisme au quotidien, son admiration de la tradition japonaise. Ce sont là des éléments qu’on retrouve tout au long de sa vie et de son œuvre. En particulier, sa vision de l’idée de servir une Cause et de mourir pour elle comme élément donnant du sens à l’existence humaine est résumée dans l’interview suivante:

Mishima a forgé sa “mythologie de la mort” à travers ses œuvres littéraires mais aussi à travers ses films, comme dans ces deux extraits où il met en scène son seppuku.

Et une fois la mythologie bâtie, c’est un Mishima fanatisé, encore plus traditionnaliste, nationaliste et idéaliste qui tente un coup d’Etat au Japon en 1970 et se suicide par seppuku une fois le coup d’Etat avorté. On ne peut qu’être d’accord avec l’affirmation de Marguerite Yourcenar sur le fait que la mort de Mishima (mise en scène avec une longue préparation et idéalisée jusqu’au bout) a été l’une de ses œuvres.

Pour avoir une idée du roman, en voici un des passages que j’ai particulièrement apprécié:

Ryûji: “Et si au milieu du travail vous êtes projeté contre une paroi ou si l’électricité tombant en panne vous vous trouvez lancé dans l’obscurité, vous n’avez pas le temps d’avoir peur. Et voilà. Vous pouvez avoir navigué des années, vous ne vous habituez jamais aux tempêtes. Chaque fois vous vous demandez si vous n’allez pas y passer. En tout cas, la veille de notre dernière tempête, le coucher du soleil ressemblait trop à un grand incendie, le rouge du ciel tournait au noir et la mer était devenue subitement calme. J’avais l’étrange impression qu’il allait se passer quelque chose.”

- “C’est trop horrible, trop horrible. Je vous en prie, ne racontez plus d’histoires pareilles!” s’écria Fusako se bouchant les oreilles avec les deux mains.

Noboru pensa que cette histoire de dangers courus était clairement racontée pour lui et il jugea théâtrale la protestation élevée par sa mère, en se bouchant les oreilles, il en était ennuyé. A moins que l’histoire ne fût destinée à sa mère? Cette pensée mit Noboru mal à l’aise. Ryûji avait déjà raconté des histoires de navigation de la même sorte mais cette fois son ton paraissait différent. Ce ton lui rappelait celui d’un marchant ambulant qui tire derrière son dos un paquet d’objets divers qu’il tripote avec des mains sales. Les objets divers, vendus par Ryûji, c’était la tempête des Caraïbes, une fête dans la campagne brésilienne toute couverte de poussière rouge, les paysages le long du canal de Panama, un orage tropical submergeant un village en un clin d’œil, des perroquets bariolés poussant des cris perçants dans un ciel sombre…

Celle de Mishima est donc une oeuvre tragique et profonde, mais assez bien synthétisée dans ce petit bouquin pour qu’on puisse malgré tout la lire et la comprendre, du moins partiellement.

Sur cela, quittons nous avec Bring me the head of Yukio Mishima des Snivelling Shits. Bonne route!

Bring me the head of Yukio Mishima, Snivelling Shits

4 commentaires:

  1. Il primo video in bianco e nero del militare che si taglia la pancia lentamente non può che farmi venire alla mente De Andrè mentre canta:
    " Morire per delle idee..vabbè ..ma di morte lenta ..vabbè ma di morte leeentaaa" Forse a questo scrittore giapponese gli avrebbe fatto bene sentire la canzone...Sono sconcertata dal macabro gusto non della morte ma della sofferenza che questo signore vuole che si provi prima di morire. In genere penso che se si decide di dire addio alla vita, lo si voglia fare in fretta, senza potersi guardare attorno e tanto meno senza che la nostra morte diventi uno spettacolo, come lo è per la giapponesina che guarda senza dire Bà, e a cui scende giusto una lacrima...E poi magari quel signore è pure da considerare un eroe. A me sembra solo che per concepire una morte del genere ci voglia non solo disprezzo per la vita, ma tanto tanto odio per il proprio corpo, quasi una precisa volontà di punirlo, e nel contempo sembra esserci la soddisfazione, prima di morire di veder finalmente il frutto di tale punizione: il grande lago di sangue !
    Poi tutto il discorso sui valori è così stretto che non si può condividere, mi sembra che discorsi simili gettino le basi degli estremismi e delle tirannie. A questo punto mi è tornata alla mente un frase bellissima di Zygmunt Bauman che fa capire qunto tutto sia così relativo...:"Non esistono principi assoluti che si possano apprendere, imparare a memoria e mettere in campo per sfuggire a situazioni da cui è difficile uscir bene e risparmiarsi così il retrogusto amaro che lasciano le decisioni prese e attuate. La realtà umana è caotica e ambigua, per cui le decisioni morali, diversamente dai principi etici astrattI, sono ambivalenti. E' in questo mondo che dobbiamo vivere..." Ciao, bacioni Francesca

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  2. Sono d'accordissimo con la frase relativista di Bauman e anche con le tue valutazioni morali sull'estetica morbosa di Mishima...una messa in scena del dolore e della morte auto-compiacente e non proprio condivisibile. Però, trovo che l'idea sia comunque interessante e che abbia un suo fascino e un suo perché..da mettere nella collezione delle cose da guardare ma a cui annettere la menzione "non provatelo a casa, può essere pericoloso". E poi, questa sensibilità decadente e depressa di Yukio Mishima ha un valore artistico, riesce a comunicare qualcosa di universale che non lascia indifferenti, tanto nell'adozione che nella repulsione...

    Bacioni
    Paola

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  3. "et il accepte, consciemment ou inconsciemment, de se faire tuer pour accéder à “la Gloire”."

    J'ai arrêté de lire la, trop de bêtises écrites consciemment ou inconsciemment jusque la.

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    1. Bon ben, arrêter de lire est un droit sacré du lecteur - ou de la lectrice, que voulez-vous qu'on réponde à cela? Trouvez donc votre bonheur ailleurs!

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