Finalement, les sardes ont voté contre l’installation de centrales nucléaires sur le territoire régional, ce qui est déjà un premier pas pour réduire les risques liés au nucléaire. Reste à voir ce qui sera le résultat du référendum national qui aura lieu en Italie le 12 et 13 juin prochains.
Cependant, les risques de catastrophe dans le monde contemporain ne viennent pas tous de l’énergie nucléaire. En effet, nombreux sont les éléments qui pourraient nous inquiéter: l’air n’est pas toujours pure, la nourriture n’est pas toujours saine (1 et 2), et les paquets de produits financiers ne sont pas toujours composés avec honnêteté (3). Dans ce petit texte je ne veux pas approfondir un argument en particulier (l’embarras du choix est tellement grand que je risquerai de faire comme l’âne de Buridan!); je me contenterai de mener une réflexion générale en me focalisant sur la transmission des informations, pour essayer de comprendre si notre architecture socio-économique est plus un “golem” ou un “juggernaut”.
Si, comme Michel Foucault nous l’a appris, savoir et pouvoir ont très souvent avancé main dans la main, la grande disponibilité de l’information de toute sorte (ou presque), notamment à travers les nouvelles technologies de l’information et en particulier internet, pourrait nous faire croire que la diffusion du savoir finalement démocratise l’accès au pouvoir, nous projetant par miracle dans un monde mieux informé, plus conscient et, somme toute, plus juste.
Dans la réalité, cependant, les choses sont bien différentes. L’information présente sur internet est abondante, c’est vrai, mais elle est aussi redondante, non hiérarchisée, decontextualisée, indifférenciée et, dans la plupart des cas, non vérifiée. Il est ainsi souvent difficile de distinguer le vrai du faux, l’info de l’intox…et finalement la navigation dans le mer de l’information n’est pas une paisible croisière, mais une traversée tourmenté voire, carrément, une noyade.
La question de comment aborder l’information en ligne afin d’éviter les contenus d’une qualité médiocre ou piètre commence tout juste à être abordée par différents acteurs dans plusieurs domaines. Ainsi, on nous apprend que les réseaux sociaux peuvent avoir le pouvoir de modifier les priorités de la recherche scientifique et de attribuer une “valeur” à certaines positions non corroborées par des preuves scientifique (4), que de plus en plus de sites sont créés dans le seul but de faire du chiffre en termes de visites même si leur contenu laisse à désirer (5) et qu’il faut faire attention aux informations personnelles qu’on laisse traîner sur la toile, comme les photos ou les numéros de carte de crédit. Malgré cette graduelle prise de conscience, cependant, il est évident qu’un grand nombre d’individus ne maîtrisent pas l’”information automatique” telle qu’elle existe à présent, que ce soit à cause d’un âge trop avancé, trop jeune (on prend acte de l’existence du net sans la remettre en question) ou simplement à cause du manque de formation à ce type de moyen.
Essentiellement à cause de ce manque d’aisance avec les nouvelles technologies, on se heurte à deux nouveaux phénomènes: (i) des informations de toute sorte, qui font ce que des scientifiques appelleraient du “bruit”, en confondant l’essentiel, l’important et le superflu submergent les individus et les plongent dans un état qui a des similitudes inquiétantes avec l’autisme; (ii) les individus sont dépossédés du contrôle sur les informations qu’ils reçoivent, mais aussi sur celles qu’ils émettent, qui peuvent être stockées et utilisées en des sites, avec des méthodes et pour des buts parfois discutables. Ces problèmes risquent de se développer de manière très importante si effectivement les applications online auront l’avenir que certains leur prédisent.
Ainsi une technologie à priori pro-démocratique et facilitant l’épanouissement personnel et la diffusion de la connaissance risque paradoxalement de perdre de son charme et d’évoluer dans une direction inverse par rapport à celle qui devait être la sienne.
C’est à ce moment précis que le dilemme se présente: est-il préférable qu’on considère cette situation comme un golem ou comme un juggernaut?
Il s’agit de deux mots particuliers, qui dérivent de deux théologies différentes et qui permettent d’envisager une situation globale désastreuse, difficilement contrôlable et avançant par inertie.
Le golem est un mythe juif, dont les origines remontent à l’ancien testament. Indiquant d’abord la matière informe, dépourvue de souffle vital, au fil du temps il a signifié les créations qui pouvaient être construites à partir de cette matière. Au Moyen Âge des écoles kabbalistiques promettaient d’enseigner comment créer des êtres animés à partir de la matière, êtres qui étaient appelés Golems et c’est probablement de cette acception du terme qui dérive la signification moderne du mot golem en hébreu, c’est-à-dire robot. Pour donner la vie à la matière inerte il aurait suffit de tracer sur elle le mot Emeth (verité), tandis que pour la faire redevenir poussière on aurait du juste effacer la lette E, ce qui laissait Meth (mort).
Le golem, donc, symbolise la matière animée de manière artificielle, pour des finalités positives, mais qui peut échapper au contrôle de ses créateurs et même se retourner contre eux.
Le mot juggernaut dérive quant à lui d’une tradition indienne, le Ratha Yatra.
Or, notre système d’information basé sur les nouvelles technologies et l’internet est-il plutôt un golem ou un juggernaut? Ces deux mots et les concepts qu’ils sous-tendent sont assez proches: des phénomènes d’origine humaine, voire des créations humaines, qui échappent à tout contrôle et deviennent des forces destructrices. Bien qu’ils aient cet aspect en commun, les deux concepts présentent une différence de taille: en effet si le Golem peut être stoppé avec l’intervention (et éventuellement le sacrifice) de ceux qui ont les capacités d’agir, le Juggernaut se distingue par sa complète inévitabilité: le géant peut retourner à être poussière, tandis que le char avance dans sa course désastreuse et il entraine tout ce qu’il trouve sur son chemin.
Finalement donc la différence fondamentale entre les deux concepts est la possibilité d’agir et de contrer le mouvement que les êtres humains (ou du moins une partie d’entre eux) possèdent: des acteurs conscients, proactifs et réactifs d’un côté et des victimes résignées de l’autre.
La vision qu’on a du net (Golem ou Juggernaut) dépend en somme de l’opinion qu’on a quant à notre capacité de l’influencer. Pour ce qui me concerne, je suis d’accord avec Umberto Eco et je suis convaincue qu’il vaut mieux dénoncer les failles du système, quitte à le changer de manière radicale, plutôt que se transformer en des bateaux sans équipage, qui, ne pouvant pas naviguer, essayent tout juste de ne pas couler entrainés dans l’océan de l’information automatique.
Plutôt Golem, donc! Sur cela, voici une chanson du chanteur français Jil is Lucky qui parle de l’histoire de Rabbi Loew. Bonne écoute et bonne route!
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