dimanche 15 mai 2011

Le nucléaire et les défis de communication

Ce fin de semaine dans le canton de Vaud on votait le projet fédéral de stockage des déchets nucléaires, projet qui a été finalement rejeté. En prévision du vote, Le Temps a publié jeudi dernier un article sur “Comment dire «Attention danger» pour des millénaires”. En effet, outre les catastrophes nucléaires, le principal danger de l’exploitation de l’énergie nucléaire est constitué par les déchets radioactifs produits, qui ont des demies-vies de plusieurs millénaires (voire dizaines, centaines ou milliers de millénaires – la demie vie du iode 129 étant de 16 millions d’années!) et doivent donc être stockés en lieu sûre. Or, ce lieu sûre doit non seulement être à l’abri des intempéries, des tremblements de terre et des éruptions volcaniques, mais il doit aussi pouvoir être facilement identifié comme étant dangereux par les générations futures qui s’y approcheraient. Et ceci représente un défi communicatif de taille.

La question de la communication du danger sur des échelles de temps longues a commencé à être abordée dans les années 1980 et c’est dans les années 1990 que les premiers rapports, articles et livres en la matière commencent à être connus. Un des premiers ouvrages dédiés à ce sujet est “Warnungen an die ferne Zukunft”, édité par le sémiologue Roland Posner, qui envisage clairement la gestion des déchets nucléaires comme posant un problème de communication.

En effet, plusieurs éléments doivent être considérés afin de choisir une forme de communication qui sera efficace dans le futur:

  • le support choisi pour convoyer le message doit être résistant aux éléments naturels et humains et ne pas trop s’abîmer avec le temps
  • la technique permettant de décoder le message doit être disponible aussi dans le futur
  • la signification du message doit rester stable dans le temps.

Comme il est aisé d’imaginer, peu d’éléments possèdent toutes ces propriétés simultanément. La partie la plus simple à résoudre est probablement le support. Ainsi, déjà en 1998, certains proposaient de réaliser des micro-gravures sur des disques en nickel, qui seraient plus résistants que les ordinateurs et ne seraient pas victimes d’obsolescence.  Sur le choix du support repose aussi le projet choisi par le Département de l’Energie des USA pour le Waste Isolation Pilot Plant (WIPP) de Carlsbad, New Mexico. Prévoyant une série de blocs en pierre avec des inscriptions gravées en 7 langues actuellement parlées, un mur sensé protéger les blocs de l’ensevelissement et une pièce sans toit avec des autre informations également gravées. Le projet final devrait être soumis aux alentours de 2028, mais on peut déjà voir deux des inscriptions proposées: la véritable inscription qui devrait figurer sur le site de la WIPP et le pictogramme proposé par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique.

Sprenger

Des autres projets ont été proposés, comme l’inscription d’un message codé dans l’ADN de certaines plantes plantées sur les sites de stockage et même dans celui des êtres humains, ou encore l’utilisation de grands aimants à proximité des sites, ou bien de satellites envoyant le message sur la superficie de toute la planète.

Beaucoup de ces exemples montrent que, s’il est simple de réaliser des supports résistants, il est beaucoup moins facile de résoudre le défi technologique. En effet, rien ne démontre que les futures générations sauront se servir de microscopes à haute puissance pour lire les messages inscrits dans les disques de nickel, ni qu’ils seront capables de décrypter l’ADN ou les messages envoyés par satellite.

De plus, rien ne garantit que la signification des messages ainsi transmis resterait stable dans le temps. Si on pense aux messages écrits, en effet, on est confronté au fait que les langues connues ont une durée de vie limitée dans le temps et, par exemple, aujourd’hui il n’a pas encore été possible de décrypter des nombreux systèmes d’écriture anciens. En outre, même une fois déchiffrés, les mots sont difficiles (voire impossibles) à comprendre s’ils ne sont pas insérés dans un certain contexte et la même chose vaut pour les images, les symboles et les infrastructures. Par exemple, la structure conçue pour la WIPP se réfère ouvertement a Stonehenge, mais la signification originaire du site anglais n’a pas encore été découverte (!).

Afin de préserver les informations de “contexte”, plusieurs propositions ont été avancées: la création d’une “Chambre des affaires futures” dans les parlements nationaux, l’invention d’une "mythologie du nucléaire” autour des radiations, tournant par exemple autour d’organismes génétiquement modifiés (comme des chats radiosensibles), ou même l’institution d’un “clergé nucléaire” sensé protéger et transmettre le message.

Et si la voie la plus plausible, soutenue entre autres par Sebeok (1 et 2) semble être de privilégier l’émission de messages multiples et redondants et d’en imposer le renouvellement à échéances multiples (ce qui nous obligerait à penser la communicabilité sur des temps beaucoup plus courts, comme, par exemple, 250 ans), certains, comme Sprenger, semblent prôner l’incommunicabilité du message sur la très longue durée, tandis que d’autres, comme Olshin, croient que le message va se transmettre automatiquement sous forme de contes, légendes et mythes, sans qu’on ait à s’inquiéter de leur création déjà maintenant.

Pour l’instant, en tout cas, on se contente d’inventer des formes de communication hypermodernes, ayant une longueur de vie limitée et fortement dépendantes de la technologie, comme le Code QR, de plus en plus diffus essentiellement grâce aux téléphones portables de type smartphone.

Mais les angoisses de catastrophe (pourquoi pas nucléaire) ne sont pas très loin et c’est ainsi que certains groupes (notamment les survivalistes) se préparent à la fin de toute civilisation, ou, selon leur néologisme, le TEOTWAWKI ou “la fin du monde tel que nous le connaissons”). Nul ne sait si en cas de teotwawki les signaux sur le site de Carlsbad ou sur les dizaines d’autres sites de stockage nucléaire seraient compris, ni même s’ils auraient le temps d’être posés.

En faisant les comptes avec l’incertitude quant à la gestion des déchets nucléaires les vaudois ont donc refusé le projet en question, tandis que la réponse des sardes, qui votaient eux aussi aujourd’hui et demain sur le sujet du nucléaire, n’est pas encore connue.

Il ne nous reste que croiser les doigts et écouter un peu de bonne musique sur “la fin du monde telle qu’on le connait”. Bonne route!

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