dimanche 10 juin 2012

Amitiés et amours adolescents

Lors de ma sortie la semaine passée, non seulement j’ai oublié mes papiers, mon abonnement et mes euros, mais je n’ai pas non plus pensé à prendre des lectures avec moi. Ayant quelques minutes devant moi je me suis donc rendue au kiosque de la gare, où j’ai acheté trois bouquins. Je les ai tous lus assez rapidement (trois livres en trois jours, c’est pas mal…mais on ne trouve pas non plus des volumes de 1500 pages au kiosque!) et j’ai pu constater qu’ils avaient un point en commun: ils parlaient tous de différentes formes de tendresse entre adolescents (qu’il s’agisse d’amitiés ou d’histoires d’amour, ça doit être un sujet qui passionne les foules et qui se vend bien). En voici donc des brèves comptes rendus, dans l’ordre de ma lecture.

J’ai commencé avec un tout petit bouquin de la belge Amélie Nothomb, que j’avais déjà eu l’occasion d’apprécier dans “Ni d’Eve ni d’Adam”.

Nothomb, A. (2003). Anthéchrista. Paris: Albin Michel. 151 pp.

Sur les bancs de l’uni Blanche, timide étudiante de 17 ans, solitaire et plutôt isolée, rencontre Christa, 17 ans elle aussi, mais très extravertie et pleine d’amis. Sympathique en public, Christa profite du manque d’amour de Blanche pour se proposer comme amie, et une fois son but atteint elle se révèle être sadique: manipulatrice et méchante, elle va réussir à prendre la place de Blanche dans sa famille, à lui voler le petit univers de sa chambre et à l’humilier constamment.

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Pendant un moment, Blanche culpabilise de se sentir une victime, et croit en faire trop….jusqu’au jour où elle comprend que les attitudes de Christa sont volontaires et qu’elle choisit sa méchanceté. C’est à ce moment-là que Christa devient, pour Blanche, Antéchrista. Cela semble une situation sans issue, sauf que Blanche décide d’investiguer sur la vraie vie de cette nouvelle amie, et elle découvre un coté mythomane. Toutes les mensonges de Christa vont finir par lui tomber dessus et Blanche va ainsi retrouver sa solitude d’avant, avec une certaine satisfaction.

Dans un style épuré et clair, c’est le personnage de Blanche qui nous raconte l’histoire. Même si l’intrigue n’est pas très complexe, l’intérêt principal ce cette œuvre est dans le talent de l’auteure pour la description des états d’âme et des psychologies des personnages, tant ceux des protagonistes que ceux des comparses, comme par exemple les parents de Blanche. L’analyse la plus aboutie concerne sans doute Blanche: complexe, tiraillée entre une grande rationalité et une certaine sensibilité, elle est un personnage parfaitement cohérent en tant qu’adolescente.

Une autre bonne raison de lire ce bouquin, c’est qu’on a presque tous croisé une Antéchrista au moins une fois dans la vie*, et bien qu’il soit possible de s’en débarrasser cela laisse des traces…ce que la conclusion du roman relate parfaitement. (*Pour ce qui me concerne, ce livre semble la biographie d’une certaine N.D.; quel fléau que cette nana! Ceux qui l’ont connue comprendront.)

Bref, je vous en conseille la lecture. Pour avoir un exemple du style de Nothomb, voici un passage du livre:
D’habitude on ne doit pas réfléchir longtemps pour déterminer si quelqu’un est beau ou laid: cela se sait sans qu’il soit nécessaire de le formuler, et la clef des mystères d’une personne ne tient pas à cela. L’apparence n’est jamais qu’une énigme de plus, et pas la plus épineuse.
Le cas de Christa était particulier. Si elle avait un corps magnifique, il était impossible de se prononcer quant à son visage. Au début, elle s’imposait de si étincelante façon qu’elle occultait jusqu’à l’ombre du doute: elle était forcément la plus belle de l’univers, parce que ses yeux brillaient de mille feux, parce que son sourire éclaboussait, parce qu’une lumière intense émanait d’elle, parce que l’humanité entière était amoureuse d’elle. Quand un être atteint un tel degré de séduction, personne ne peut imaginer qu’il n’est pas beau.
Sauf moi maintenant. Seule de mon espèce, j’avais droit à un secret que Christa, sans le savoir, me révélait chaque jour: le visage d’Antéchrista – le visage de celle qui, bien loin de chercher à plaire, me considérait comme moins que rien. Et je m’apercevais, quand elle était en mon unique compagnie, qu’elle était méconnaissable. (…)
Quand un tiers entrait, la métamorphose ne prenait pas une seconde, c’était spectaculaire. Aussitôt les yeux s’allumaient, les coins de la bouche remontaient, les traits éclairés s’allégeaient, aussitôt disparaissait la tronche d’Antéchrista pour laisser émerger, exquise, fraiche, disponible, idyllique, la jeune fille, l’archétype de la pucelle à peine éclose,  à la fois délurée et fragile, cet idéal inventé par la civilisation pour se consoler de la laideur humaine. (pp. 75-77)
Après Nothomb, je suis passée à un ouvrage qui avait l’air d’un commun roman, mais qui était en fait un récit d’aventure pour adolescents…et même assez décevant.

Ruiz Zafón, C. (2011). Marina. Editions Robert Laffont: Paris. 282 pp.


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Ce bouquin, écrit dans une langue plutôt simple et sans une grande recherche des mots, raconte l’histoire de Óscar et de Marina, deux adolescents qui vont se rencontrer et s’aimer dans la Barcelone délabrée de la fin des années 1970.

Le centre du roman n’est cependant pas leur histoire d’amour: la trame est centrée sur une espèce de scientifique fou, qui se maintient en vie grâce à un miraculeux élixir à base de papillons noirs et qui bricole des monstres à l’aide de cadavres. Óscar et Marina découvrent son existence pas hasard, et ils ne comprennent qu’il est en vie qu’à la fin du roman, au moment où ils devront le combattre.

Dans une atmosphère passablement glauque et lugubre, les deux jeunes se baladent de ruine en ruine mais ni leurs émotions ni leurs caractères ne font l’objet de soins particuliers de la part de l’auteur. De plus, le récit contient des grossières incohérences (par exemple, la mère de Marina savait déjà d’être enceinte au mois de janvier, mais Marina est née en…décembre!) et il s’agit incontestablement une œuvre de science fiction, même si on ne le dirait pas quand on lit le synopsis sur la couverture (c’est très trompeur). Enfin, ici aussi il est question de mensonges: à cause d’une malade qu’elle avait caché à son ami, Marina décède, donc la mort vient interrompre cet idylle et l’histoire se termine mal. En somme, que de bonnes raisons pour ne pas lire ce livre, sauf si vraiment vous n’avez pas autre chose sous la main (ce qui était mon cas!).

Seulement quelques passages du livre font preuve d’un talent littéraire et sont dignes de note – bien qu’ils soient truffés de phrases à effet faciles, et de “fautes de style” littéraires (vous allez sans doute les reconnaitre dans le texte qui suit, et je ne saurais pas comment les définir autrement). Voici, par exemple, celui-ci (à la fin du roman, Óscar, qui est le narrateur, retrouve une lettre écrite par sa défunte amie Marina):
Mon ami Óscar est un de ces princes sans royaume qui errent dans l’attente du baiser qui les transformera en crapaud. Il comprend tout à l’envers et c’est pour ça que je l’aime tant. Les gens qui croient qu’ils comprennent tout comme il faut font tout dans l’autre sens, ils croient aller à droite et vont à gauche, et moi qui suis gauchère, je sais de quoi je parle. Il me regarde et pense que je ne m’en aperçois pas. Il s’imagine que je m’évaporerai s’il me touche, et que, s’il ne le fait pas, c’est lui qui s’évaporera. Il me met sur un piédestal si haut qu’il ne sait pas comment y monter. (…)
Mon ami Óscar est un de ces princes qui feraient bien de se tenir éloignés des contes et des princesses qui les habitent. Il ne sait pas que c’est le prince charmant qui doit poser un baiser sur la Belle au bois dormant pour l’éveiller de son sommeil éternel, mais c’est parce qu’Óscar ignore que tous les contes sont des mensonges, alors que tous les mensonges ne sont pas des contes. Les princes ne sont pas charmants, et les dormantes, si belles soient-elles, ne se réveillent jamais de leur sommeil. Il est le meilleur ami que j’aie jamais eu et si, un jour, je rencontre l’enchanteur Merlin, je le remercierai de l’avoir mis sur mon chemin. (pp. 274-275)
Enfin, l’ouvrage le plus demandeur en termes d’attention et le plus travaillé est sans doute celui du japonais Keigo Higashino.

Higashino, K. (2011). La maison où je suis mort autrefois. Arles: ACTES SUD.

Le narrateur, un japonais sur la trentaine, accompagne Sayaka, son ex petite-amie du temps de l’adolescence, visiter une mystérieuse maison à la campagne dont son père décédé lui a laissé la clé. Ce bâtiment à l’abandon recueille les objets d’une famille comme si les occupants venaient tout juste de quitter les lieux: des habits, des livres et d’autres effets personnels…tous datant d’une vingtaine d’années auparavant.

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Sayaka et lui sont plongés dans un double pathos: d’un coté il y a la tension qui lie Sayaka à son enfance, dont elle n’a aucun souvenir; de l’autre, il y a une tension croissante entre les deux personnages, en raison de leur passé sentimental. En cherchant à découvrir les secrets de cette maison ressurgiront les souvenirs de leur ancienne relation mais aussi les mémoires que Sayaka avait enfouies depuis qu’elle n’était qu’un enfant.

Après des nombreuses recherches et la lecture du journal intime d’un garçonnet, Yusuke, les protagonistes découvriront que la famille qui habitait la maison n’était pas une famille normale, et que la maison n’en a jamais été véritablement une. Dans un Japon attaché au culte des défunts, il s’agit en réalité d’un mausolée à la mémoire de Yusuke et de Sayaka, son amie d’enfance, morts dans une tragédie familiale provoquée par Yusuke. La Sayaka adulte protagoniste du roman n’est que la soeur de Yusuke, Chami, qui a changé de nom et a été donnée aux parents de la Sayaka défunte. Ainsi, cette maison n’est que la reconstruction de la maison où elle et son identité sont symboliquement mortes plus que vingt ans auparavant.

Malgré ces moments vécus ensemble, les anciens adolescents amoureux ne ressortiront pas ensemble, presque à sceller le fait que le passé reste du passé. Cependant, leurs souvenirs pointillent le récit, en donnant une patine sentimentale à ce qui est un très bon polar, riche en suspense et bien ficelé, avec une intrigue complexe et intéressante. Le style est agréable, clair et sans trop de fioritures, et une attention particulière est donnée aux différents moments et espaces à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. Les psychologies sont aussi bien travaillées, et le talent majeur de l’auteur est sans doute celui de décrire avec minutie non seulement les sentiments des deux protagonistes, mais aussi ceux des personnages évanescents qui sont les anciens habitants de la maison, à travers leurs écrits insérés dans le roman. C’est sans doute un livre à conseiller, d’autant plus si vous aimez les polars; voici un exemple du style de cet ouvrage:
Nous nous étions rencontrés parce que nous nous étions retrouvés dans la même classe en deuxième année de lycée. Je ne la connaissais pas avant. C’était une fille ordinaire, que l’on ne remarquait pas. C’est du moins ce que je pensais d’elle. Mais nous étions assis l’un à coté de l’autre et, quand nous avions commencé à parler, j’avais découvert que l’impression que j’avais d’elle était fausse.
Elle ne chahutait pas et elle ne criait pas sans raison comme la plupart des filles. Elle se tenait toujours en retrait, donnant l’impression d’observer pensivement ce qui se passait autour d’elle. Au début j’avais cru qu’elle était timide, mais je m’étais vite rendu compte que ce n’était pas le cas. Ses yeux, lorsqu’elle regardait ses camarades rire bêtement, étaient semblables à ceux d’un scientifique observant des animaux de laboratoire. Un peu comme si elle était spectatrice d’une pièce de théâtre intitulée “La Deuxième Année de lycée”. En fait, elle ne tentait jamais de monter sur scène. Son aspect enfantin était en parfait décalage avec sa personnalité.
Cette Sayaka me paraissait pleine de fraicheur. Je me disais que ce pourrait être amusant de parler avec elle. A cette époque j’étais prétentieux à cause de mes bons résultats et, même si en apparence je m’entendais avec tout le monde, je me disais intérieurement qu’ils étaient tous des gamins idiots.
- Tu as toujours l’air de t’ennuyer, lui avais-je dit une fois. J’ai l’impression que tu regardes tout le monde de  haut.
Elle n’avait rien répondu à ce sujet, et m’avait retourné la question.
- Toi aussi, non? Tu te comportes un peu de cette façon, je trouve.
Je l’avais bien pris.
- Moi? Tu as raison, peut-être que je m’ennuie un peu.
Elle avait approuvé ma réponse en souriant:
- Moi aussi je m’ennuie un peu. Mais on n’y peut rien.
- Pourquoi?
- Parce que… Elle avait haussé les épaules. Ce ne sont que des enfants.
Cette réponse m’avait abasourdi. (pp. 138-140)
En somme, il y a  des nombreuses sortes d’amours adolescents et des façons très diverses d’en parler dans des romans selon le point de vue adopté, le sujet du récit et, bien entendu, le talent de l’écrivain.

Pour nous quitter, en cette journée de finale de Roland Garros, voici un clip qui se passe dans le cour parisien, celui de Hello de Martin Solveig (où on voit aussi l’apparition de Novak Djokovic!). Solveig a réalisé une série de quatre clips, celui-là et les trois suivants, qui racontent une histoire plutôt fleur bleue qui colle bien avec cette série sur l’amour adolescent; je n’ai donc pas résisté à la tentation de vous les proposer tous les quatre! Bonne route!

Martin Solveig ft. Dragonette – Hello – Smash episode #1

Martin Solveig – Initial S.H.E. – Smash episode #2

Martin Solveig – Ready 2 Go – Smash episode #3

Martin Solveig – The Night Out – Smash episode #4

1 commentaire:

  1. Ciao, ho visto che ti sei fatta il "pieno di libri", e che riesci ad essere pungente anche con semplici libri per adolescenti. Certo che la storia di Christa è inquietante, e se ci si pensa un pò, forse a tutti è capitato di incontrare persone che sembrano una cosa e sono il contrario...Curiosi i video, ma il tipo di musica non fa per me. A presto, bacioni

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